vendredi 31 mai 2019

Aladdin le live: critique (03)


Critique partie 01
Critique partie 02
Critique partie 03
Critique partie 04
Critique partie 05






Concernant Naomi Scott alias Jasmine, un petit détail m'a tout de suite fait tiquer: elle est d'origine indo-britannique...et ça se voit, comparée aux autres. Voilà pourquoi Karen David, d'origine indo-chinoise, me paraissait plus convaincante. En outre, Naomi Watts n'a pas la resting bitch face d'Emma Watson, mais elle semble souvent très surprise d'être là.

Comme ceci.


Par rapport à une héroïne d’origine,  souvent fâchée, triste, enthousiaste...ça se voit.







 Le romantisme et la fougue de la Jasmine originale transparaissent assez peu puisque Naomi Scott la fait plus douce et mesurée. Et pourtant! Son solo était bluffant question volonté.


Au final elle chante mieux qu'Emma Watson et n'a pas son air triste (juste surpris), mais j'ai eu encore une fois bien du mal à reconnaître Jasmine, entre les costumes qui n'ont rien à voir, ses origines européennes et sa discrétion (comparé à la comédie musicale et à Once upon a time).


Comment faire la Jasmine originale de toute façon, ça semble avoir été un problème pendant longtemps. Si vous avez eu l'occasion d'entendre un solo un temps envisagé pour elle dans la première version du film animé, Call me a princess,

                  (il est  en version second degré à Broadway pour faire fuir les prétendants)


on constate qu'elle était alors une horrible enfant gâtée (pas mécontente d'être une princesse ) ! A se demander ce qu'Aladdin lui aurait trouvé  à part son apparence (en fait, elle aurait alors surtout dû servir de source de comique).

On peut saluer  l'idée d'en avoir fait un personnage plus altruiste, et qui au  contraire s'affirme contre les contraintes liées à son rang et son sexe. Même si elle a gardé un caractère difficile et une obstination qui va parfois la desservir...Et une impertinence qui frôle le fait d'être une vraie petite peste parfois.

Son intégration aux "Disney princesses"  et son utilisation dans d'autres supports depuis (séries télé, téléfilms, comédie musicale, direct to video, romans et BD, spectacles dans les parcs...) avait déjà pas mal amélioré son caractère, et surtout, l'appartenance à la franchise des Disney princesses a donné une obligation d'exemplarité.




Sans surprise, le côté aguicheuse n'est du coup présent que dans le premier film, parce oui petites filles, ne faites pas ça chez vous.

Et puis se servir de son corps pour arriver à ses fins, non seulement ce n'est guère moral, mais était en totale contradiction avec ses convictions apparentes.



En dehors de Belle qui avait aussi revendiqué le droit à épouser qui bon lui semblait-et donc refusé une demande- Jasmine était  la première héroïne Disney à questionner le patriarcat. Aujourd'hui Mulan et son épée paraissent un symbole féministe plus évident, mais il ne faut pas oublier que cette dernière était prête à se plier aux traditions et seul son échec à le faire la pousse à aider les siens autrement.



Jasmine, se plier, déjà très peu pour elle à l'époque. J'apprécie qu'on aie ajouté à ceci une certaine forme d'érudition, déjà dans Once upon a time, elle explique qu'enfermée dans son palais, il y a peu de choses à faire, autres que lire. Une certaine conscience politique aussi. Le dessin animé la montrait prête à "déserter son poste" pour vivre sa vie, certes. Mais par la suite, dans la série télé, on verra souvent souvent Jasmine prête à se sacrifier pour le bien-être de son peuple. OUAT la montrait avant tout motivée par le fait de sauver son royaume.



Dans le roman Ce rêve bleu-Twisted tale, Jasmine devient orpheline et à la fin, la population la proclame nouveau sultan. Déjà dans cette version, elle propose donc à Aladdin d'être son consort plutôt qu'un souverain par alliance.



Le film d'origine nous l'avait aussi parfois présentée en damoiselle en détresse pour le bien de la tension dramatique du climax...en contradiction avec le fait qu'elle "apprenait vite" certaines acrobaties au début du film.


Jasmine est nettement plus badass dans presque tous les autres supports, prête à régler ses comptes à coup de poings, si ce n'est dans Kingdom hearts et OUAT.

Essayez de jouer les troubles-fêtes à son mariage, juste pour voir.


Et encore: Dans la dernière série, c'est elle qui vainc Jafar en le transformant en sceptre (oui, oui...).



 Même si, jusque là, c'était Jasmine qui souffrait des problèmes de confiance en soi propres à Aladdin dans le film original, car elle n'avait su empêcher Jafar de faire disparaître Agrabah...et avait peur de lui. Aladdin, lui, était avant tout caractérisé par le fait d'être le "sauveur" (un titre mystique) de cet univers; avant que la charge n'incombe à Emma Swan.





 Du coup quand elle ne peut plus le retrouver, OUAT! Jasmine cherche un autre héros susceptible de sauver la situation. Ayant rencontré Ariel, elle envisagera notamment de solliciter l'aide de la flotte du prince Eric.



Mais quand, à la fin, faisant de nouveau face à Jafar, ce sera bien elle qui le tue par métamorphose...alors que pendant ce temps, Aladdin, Ariel et le Capitaine Crochet gisent au sol (endormis ou provisoirement morts, pas sûre).



Bigre! Si elle a hérité des problématiques du protagoniste de son film d'origine, et qu' elle a finalement sauvé la situation, Jasmine ne serait-elle pas la vraie héroïne...? Et bien oui.



Et pas seulement dans OUAT à bien y réfléchir. Jasmine apparaît parfois  seule dans les contenus tournant autour de la franchise des Disney  princesses (Princesse Sofia, Ralph 2.0). Dans ce cas, elle a parfois des attributs qui sont ceux d'Aladdin à l'origine (le tapis, ou parfois la lampe).





Si les autres personnages apparaissent (notamment dans les livres de la bibliothèque rose), alors elle y est toujours le personnage principal-Aladdin ayant moins de temps d'exposition.




Et en dépit du fait que le présent film live porte son nom à lui: l'importance acquise par Jasmine au fil des ans se sent, c'est presque autant son film, sinon plus. L'eau ayant coulé sous les ponts depuis 1992 est prise en compte, tant au niveau du personnage de Jasmine, que ce en quoi les princesses Disney ont changé depuis.


 On a les a vues se battre (Pocahontas, Mulan, Mérida),  oser affronter le grand méchant quand son copain est en détresse (Giselle), être à la tête de leur pays (Elsa) ou devoir l'être  un jour (Vaiana), refuser l'idée du mariage arrangé et finir célibataire (Mérida), être célibataire tout court (Vaiana, Elsa), mener un business sans choisir entre époux et carrière (Tiana), être sinon perplexe devant le principe du coup de foudre (Elsa), apprendre à leurs dépends que ça ne marche pas toujours (Anna). Et savoir jouer de leurs poings (Anna, encore).



Du coup, cette fois, Jasmine est là pendant ce qui aurait dû être le solo d’exposition du héros (Je vole), est moins en détresse (en dépit du fait qu'elle ne sait soudain plus sauter à la perche), et donc, le climax respecte  davantage sa dignité (dans tous les sens du terme). Et surtout, elle veut gouverner plus tard. J'avoue avoir apprécié que ça lui aie été accordé. De toute façon, la loi de succession en mode "l'époux de la princesse règne", est plutôt étrange et a n' a jamais été observée dans la réalité.




Tout simplement parce que, une princesse aurait "offert" son pays en dot à un prince étranger- rappelons que dans tous les rangs de la société une femme a longtemps dû l'abandon de tous ses biens à son mari. Ça explique la loi salique en France-sans quoi, le pays aurait appartenu à la couronne d’Angleterre quand le seul enfant survivant de Philippe le bel s'est révélé être Isabelle, femme du roi anglais.

Si un souverain n'avait que des filles, plutôt qu'aux maris de celles-ci, on préférait passer la couronne à un cousin. J'ai un temps cru que Guillaume III d’Angleterre (né prince aux Pays-bas), époux de Marie II, fille du précédent roi Jacques II, avait été un "héritier par alliance". Ils avaient été sacrés co-souverains. Mais en réalité, les époux étaient cousins, donc  Guillaume III était lui aussi parent avec Jacques II.



Je n'ai jamais imaginé Jasmine en future reine consort peu impliquée, au contraire, je la voyais très écoutée, en mode "le couple règne" plutôt que "le gendre règne".  Tout simplement parce que le seul avantage pour le royaume à ce qu'Aladdin devienne le sultan, est qu'il aurait  été sensible au sort des sujets les plus misérables -ayant été l'un d'eux. Mais pour le reste, il n'a guère d’expérience du pouvoir, et un sérieux manque d'éducation en la matière (ça explique pourquoi on exigeait des époux de même rang, jadis). Il y a toujours possibilité de l'apprendre, bien sûr. Mais sur ces points, c'est sûr que Jasmine était la plus expérimentée des deux.



La justification dans le conte, et le dessin animé Aladdin, d'une telle loi de succession est en fait simple. Ça permet la fin parfaite, celle qui offre au protagoniste la plus haute position qu'il puisse imaginer. Du strict point de vue de ce héros masculin, c'est vrai que ça rend  l’accomplissement de la quête un peu bancale s'il est promu "numéro deux" et non "un" comme le voudrait la conclusion classique d'un récit d'un "héros aux mille visages"à la fin de son récit initiatique.

Comme si elle était le véritable héros secret (et je pense qu’elle l'est ), Jasmine décroche finalement ce titre...auquel elle s'est préparée mieux que tout autre, il est vrai. Quand elle confie ce but au "prince Ali", celui -ci qu'il pense qu'elle en est capable...et il est visiblement le premier à le lui dire.

Quand on regarde sous cet angle, on s’étonne moins que dans cette incarnation, Aladdin, en tant que consort, ne verra rien d'autre attendu de lui qu'être là, et faire des enfants à sa souveraine de temps en temps- tout en marchant toute sa vie un pas derrière elle. Mais le prince Albert de Saxe-Cobourg-Gotha ou le duc d'Edimbourg s'en sont bien accommodés. Oui oui, Kev Adams, il n'y a pas de mal à être "la première dame".



Blague à part, songez que c'était ce qui était attendu de Jasmine dans le premier film, en dépit du fait que celle qui avait été élevée pour régner, c'était elle. Et il est un autre personnage de conte -et de Disney- pour qui cette place de consort, à la fin de son voyage initiatique, était considérée comme suffisante, parce que c'est une femme: Cendrillon! Pour le bien de la parité, il est bon que, homme ou femme , celui ou celle qui entre dans la famille royale par le mariage n'hérite pas du trône-en effet.



La fin initiale, sur ce point, avait parfois fait polémique. En raison de ce titre qu'elle apportait par le mariage, Jasmine risquait d'être perçue comme une récompense. Mais je ne crois pas; en tout cas beaucoup moins que dans les comédies adolescentes des années 1980. Vous savez,  ce genre de fin où un héros pourtant ordinaire, après avoir accompli une forme de quête (comme gagner un tournoi, ou une compétition quelconque), voyait, dans l'euphorie de la victoire,  lui tomber dans les bras la fille qu'il avait en vue depuis le début du film. On ne voit pas pourquoi car elle est en revanche exceptionnelle (belle, intelligente, populaire, et parfois aussi riche) et a peu interagi avec le protagoniste jusque là. Mais la femme faisait en quelque sorte partie du "pack"  de la fin heureuse.



Devant  le dessin animé, je n'avais pas ce ressenti: Jasmine est bien développée, la relation avec Aladdin aussi, tout comme son bien-fondé. Parce que c'est la fille le but principal (et non secondaire ) du héros, elle n'apparaît pas comme un cadeau bonux. En fait les deux héros peuvent mutuellement se voir comme une sorte de récompense, le personnage masculin étant lui aussi devenu exceptionnel (d'où l'intérêt de lui avoir donné une apparence physique plus séduisante que celle prévue).


 Mais la fin du film live a en quelque sorte retourné la problématique. La limite de temps ayant en outre disparu, Jasmine n'a pas besoin d'un homme. Elle prendra un mari non pas parce qu'elle doit en avoir un, mais parce qu'elle en a envie.



Je ne suis pas de ceux, du reste, qui estiment qu'une héroïne se déshonore si elle tombe amoureuse, et que c'est un aveu de faiblesse. Il est bon que l'amour ne soit plus l'unique but de la vie des princesses Disney. Mais si elles le trouvent  chemin faisant dans leur quête, pourquoi pas? Ce n'était pas un souci pour Tiana ou Raiponce.


Le fait a été souligné dans la série Galavant, quand la princesse Isabella (interprétée par la future Jasmine de OUAT) dira qu'elle est pour la déconstruction de l' image classique de la princesse, mais désire quand-même épouser Galavant dans l'épisode final. Et bien!  Si elle l'aime mais ne perd pas son indépendance pour autant (c'est le cas), où est le problème? Est-il bien nécessaire de passer de Wet side story à Lela la reine de la plage (ceux qui ont vu Teen beach movie savent)?



 D'ailleurs déjà dans les années 1990, le but initial d'Ariel est la vie dans le monde des humains. La rencontre avec Eric ne fait qu'amplifier l'envie d'atteindre cela. Et Belle rêvait d'aventures, d'amitié, d'échapper à son quotidien...



Jasmine, c'est évident, veut avant tout voir le monde, et qu'on la laisse tranquille avec ses diverses obligations, accessoirement. Après, elle n'était pas contre le fait de se marier un jour, mais souhaitait que ce soit motivé par l'amour, et franchement, pourquoi pas. C'est un peu pour ça que le sacrement existe, à la base...mais son rang avait quelque peu dévoyé le but.



Le problème, c'est que pendant trop longtemps le cinéma a réduit les femmes à être des love interests. Ou alors, les films tournant autour d'elles, sont aussi autour d'un but amoureux, trop souvent. Il y a plus d'héroïnes dans le genre de la comédie romantique que dans les films d'action. Pour ne pas aggraver le cliché, il semble qu'il faut encourager les histoires où elles sont autre chose que des amoureuses.

Je suis d'accord...mais seulement dans des cas, atrocement communs, je l'admets, où la romance ne se justifie guère, et où ne sait pas ce que la femme trouve au héros. En fait, c'est pour moi un souci récurrent dans le cinéma : en une heure trente on a le plus souvent guère le temps de créer de l'alchimie (déjà plus dans les séries ou romans en plusieurs tomes). Et moi, le plus souvent, je n'accroche pas. Pas uniquement dans les comédies romantiques. Je ne comprends juste pas ce que les James Bond girls lui trouvent quand elles couchent avec lui-juste parce que c'est le héros, semble-t-il.



Moi et ma peau dure d' aroace, je peux vous garantir qu'il en faut beaucoup pour m'intéresser sur ce point et les films où je marche dans la romance (parce qu'elle est construite et se justifie, en moins de deux heures, c'est un exploit) se comptent sur les doigts des mains: Princess Bride, Superman, Ladyhawke, et...la trilogie des contes Disney des 90's donc.



Quand la romance est réussie, si une héroïne de conte tombe amoureuse: pourquoi pas? (d'autant que le genre  s'y prête) . Là ça n'a rien de déshonorant, d'autant que ce n'est pas le but initial-c'est quelque chose qui vient chemin faisant.



Là, j'avais l'impression que le remake me tirait par la manche "Hé regarde, elle a un but qui n'est pas l'amour mais la politique, c'est forcément mieux." Non, ce qui est mieux, c'est Jasmine qui devient la souveraine effective; au départ dans le film d'origine, elle avait plutôt pour but la liberté.



Le personnage original, je l'ai dit, était paradoxale parce qu'elle faisait des choses aussi démodées que jouer les damoiselles en détresse ou  l'agace-pissette (comme diraient nos amis québécois) pour parvenir à ses fins...tout en étant une femme forte. J'insiste: Naomi Scott n'est pas la première rendition affirmée du personnage. 



Dès l'origine, c'est, à l'encontre de toutes les conventions de son temps, une femme qui dit qu'elle n'est pas d'accord. Qui crie qu'elle n'est pas d’accord, d’ailleurs. Elle dit que son avis compte, et  elle est prête à laisser une vie facile derrière elle pour aller jusqu'au bout de ses convictions. Naomi Scott n'est finalement qu'une version plus courtoise et timorée (et ambitieuse politiquement) de tout ceci. Elle va accepter de rencontrer un homme qui a fait des kilomètres pour la voir au lieu de lui claquer la porte au nez cette fois, (et ne pas oser fuguer pour de bon) tout en souhaitant régner par elle-même.

Voilà pourquoi je pense que la version de Jasmine qui aurait mérité de chanter Parler, garder sa dignité dans le climax et devenir la sultane effective, était celle d'origine.

Celle du live confirme une théorie: Jasmine avait déjà obtenu un "upgrade" en importance dans la plupart des autres travaux publiés entre 1992 et 2019, rien que par ses propres mérites (la première princesse qui questionne le patriarcat et qui est d'une ethnie non européenne, donc). Déjà dans la série d'animation (1993-1996), les épisodes qui lui sont consacrés sont souvent considérés les meilleurs. Mais l'appartenance à la clique des Disney princesses, en prime, a fait qu'elle est apparue dans plus de travaux qu'Aladdin lui-même. 



Pourtant, il n'est pas n'importe qui : le premier personnage principal adulte et humain, de sexe masculin (et non européen) de Disney. Et l'un des premiers héros mâles crédibles. Il a aussi une fanbase solide, amplement méritée...et pourtant....Le live entérine  un fait qui semble logique aujourd'hui: ayant tant gagné en importance pour Jasmine, il semble, en effet, qu'Aladdin était déjà, dans le merchandising et l'imaginaire collectif, "un pas derrière " sa bien -aimée, dorénavant.
Est-ce que ça le gêne, au fait? 


...Je ne crois pas qu'il m'entende, par delà le fracas fait par les qualités de la princesse...






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