lundi 10 octobre 2016

La guillotine


(Gare aux âmes sensibles!)




Nicolas Jacques Pelletier, Louis XVI,  Charlotte Corday, Marie-Antoinette, Olympe de Gouges,  Manon Roland,  Madame du Barry, Danton, Robespierre, les carmélites de Compiègne...Antoine Lavoisier, le génie à l'origine de la chimie moderne.  Lesurques, l'erreur judiciaire de l'affaire du courrier de Lyon. Les époux Martin et leur valet Rochette, les accusés de "L"auberge rouge". Lacenaire, le poète assassin.  Ravachol l'anarchiste. Joseph Vacher, le Jack l'éventreur français.  Caserio, le meurtrier du président Carnot. Landru, le Barbe-Bleue de Gambais. Eugène Weidmann, le criminel aux yeux de velours. Marie-Louise Giraud, faiseuse d'anges sous Vichy. Marcel Petiot, le "Docteur Satan".  Jacques Fesch, "l'assassaint" reconnu Serviteur de Dieu (premier échelon de la canonisation). Christian Ranucci, l'homme au pull over rouge (ou pas?).  Jérôme Carrein, le limité intellectuel.  Hamida Djandoubi, l'unijambiste tortionnaire.

 











 











Mais qu'ont donc en commun des personnes aussi différentes, ayant vécu sur près de 200 ans? Autre que le fait d'avoir été accusées -à tort ou à raison- de meurtres et/ou de haute trahison? Leur fin. Due pour chacune à la guillotine.


Vous croyez sans doute qu'elle a été inventée en 1792? Que nenni! Les premières machines à décapiter furent utilisées dans des temps très reculés en Perse, puis à Rome.


 Pendant tout le Moyen-âge, les allemands utilisèrent la Diele, engin sur lequel  le bourreau devait frapper avec une masse pour faire tomber la lame. Durant la Renaissance, la Mannaia italienne et la Maiden écossaise étaient déjà des engins à lame actionnés à l'aide d'une corde.


Une mannaia mettra par exemple fin aux jours de Beatrice Cenci, la belle parricide italienne, le 11 septembre 1599 à Rome.

 

Le docteur Joseph Ignace Guillotin avait connaissance de ces deux engins quand il proposa sa réforme des supplices en vigueur en 1789. Jusqu'ici seuls les nobles étaient décapités à la hache; et pour les autres cela dépendait du crime: roue (assassinat), bûcher (hérésie), pendaison (vol), ébullition (faux monnayage), écartèlement (régicide)...



Avec le siècle des Lumières, les barbaries de la justice commencèrent à écœurer les gens d'esprit. Le chevalier de la Barre fut, en 1766, condamné à avoir la langue tranchée avant d'être décapité pour blasphème. Voltaire s'en indigna longuement et Louis XVI abolit la torture quelques années plus tard.



Le Dr Guillotin, dans l'esprit d'égalité qui devait prévaloir par la suite, suggéra une décapitation rapide pour tout le monde quelque fut son rang-puisque la décapitation était alors perçue comme le moyen le plus humain d'infliger la mort (Seuls les militaires seront encore fusillés jusqu’en 1963).  Guillotin avait été horrifié par certaines décapitations "lentes" , dues à des haches émoussées et des bourreaux débutants; quand il fallait s'y reprendre à plus d'une fois, on aurait même pas infligé ça à des animaux, estimait Guillotin. Ironiquement, ladite humanisation devait conduire pour lui à l'arrêt total de la peine de mort dans le futur... mais ce fut comme on le sait à longue échéance.



Un autre docteur, Antoine Louis, fut à l'origine de la conception mécanique inspirée des maiden.


Plusieurs formes de lames furent à l'étude avant de retenir celle en biseau, plus efficace (contrairement à la légende, ce ne fut pas Louis XVI qui en eut l'idée, mais il approuva la mise en service de l'engin qui devait finir par le tuer). On retrouve d'ailleurs toujours aujourd'hui cette forme dans les lames de cutter et de scalpel.  La lame fut lestée à un poids de plusieurs kilos, on fit des essais sur des cadavres et des animaux et l’engin fut surnommée "Louisette" comme Antoine Louis avant que guillotine ne prévale; au grand dam du Dr Guillotin.

J'ajouterais que ce docteur, s'il fut emprisonné sous la Terreur, ne fut pas tué par son invention et mourut de causes naturelles en 1815. Un homonyme, JMV Guillotin, qui était aussi docteur, fut exécuté de la sorte plus tard et entretient la confusion.

Nicolas Jaques Pelletier était un assassin sur lequel la guillotine fut utilisée officiellement pour la première fois, le 25 avril 1792. On prétend qu'il se mit à hurler à la vue de cet engin inconnu. Les exécutions avaient alors toujours été publiques, et les témoins furent paraît il déçus de la rapidité du supplice. En effet jusqu'ici  une exécution pouvait durer des heures et hélas, bon nombre de nos ancêtres s'y rendaient comme au spectacle. (Voilà pourquoi dans Les Visiteurs: La Révolution, des médiévaux comme Godefroy et Jacquouille estiment qu'un guillotiné a eu "bonne mort" comparé à ce qu'ils connaissaient).





Puis arriva ce que vous savez, la Révolution. Entre 1793 et 1794, ce fut la "Terreur" où il suffisait d'être accusé de sympathies royalistes pour être exécuté.


 Louis XVI, sa femme et sa sœur furent des victimes célèbres. Mais aussi de nombreux prêtres n'ayant pas prêté serment sur la constitution civile du clergé et les carmélites de Compiègne, pour la même raison. Ou même, Cécile Renault, adolescente simple d'esprit sur qui on avait trouvé deux couteaux. Robespierre la fit exécuter avec sa famille car devenu paranoïaque, il était persuadé qu'elle voulait l'assassiner.



Mme du Barry, ancienne favorite de Louis XV, hurla, pleura, supplia, et demandera même "Encore une minute, monsieur le bourreau" le jour de sa décapitation. Elle finit même par embarrasser la foule (habituée à des condamnés plus calmes et dignes) qui se retira, en commentant: "S'ils faisaient tous comme celle-là, on irait plus voir les exécutions!"



Près de 500 000 personnes mourront sous la Terreur, parmi elles des fusillés ou les noyés de Nantes, mais on compte quand même 17 000 guillotinés (Soit plus que le nombre total  d'exécutés aux Etats-Unis entre 1608 et 2009!). Ce fut aussi à cette époque que furent exécutés les plus jeunes et plus vieux des condamnés, âgés respectivement de  13 et 97 ans. L'engin n'est même plus démonté à Paris, le bourreau se contentant de retirer la lame la nuit, et le sang au sol ne pouvant plus s'en aller.

"Ci gît toute la France" On en venait à se demander si Robespierre ne ferait effectivement pas exécuter tous les français, avant d'en finir lui-même avec le bourreau.


Avec près d'une centaine d'exécutions par jour pendant la "grande Terreur", on peut parler de parodie de cérémonie sacrificielle à la gloire de la République laïque. Parce qu'il tombait "plus vite que la foudre", le couperet de la guillotine permettait ces morts de masse, impensables du temps des supplices plus longs.

L'exécution d'Olympe de Gouges, fervente abolitionniste...


L'engin est alors quasi déifié et on parle de "sainte guillotine".



 La Terreur prit fin avec l'exécution de Robespierre, le 24 juillet 1794.



La guillotine est alors non sans raison liée aux horreurs de la Révolution, on y mettra même le feu à Toulouse en 1795 pour cette raison. Mais elle semblait exercer une fascination morbide comme le prouve les coiffures relevées pour les femmes sous le Directoire, dite "à la victime" (sic).



Ou bien les coupes courtes (pour la première fois depuis des siècles pour les femmes) dites à la Titus , qui rappelaient les cheveux coupés des suppliciées. Certaines femmes l'auraient portée par défi, en hommage à des parents exécutés.




 Bien au contraire, les "Incroyables" , ces élégants de l'époque, portaient des écharpes très relevées pour sembler se protéger de la décapitation. Leurs compagnes, les "Merveilleuses", avaient juste un petit foulard rouge au cou avec une signification opposée.



Des foulards qui trouvent peut être leurs origines dans les bals  "à la victime". Organisés sous le Directoire, ils avaient pour but premier de trouver à se marier pour les orphelins de la guillotine. Il fallait avoir réchappé à celle-ci, ou avoir perdu un parent proche sur l'échafaud pour y être admis et ce n'était hélas pas rare. Se saluer d'un mouvement brusque de la tête et porter des vêtements de deuil et  un foulard rouge au cou faisait partie du décorum.


On surnommait alors la guillotine "la veuve", "l'abbaye de monte à regret", le "rasoir national", le « moulin à silence », la « cravate à Capet », la « Mirabelle » , le « vasistas », ou la « raccourcisseuse patriotique ».

Le XIXème siècle verra son usage s'espacer davantage...mais elle sera toujours utilisée sur les assassins- et seulement eux après le règne de Louis-Phillipe qui abrogera la peine de mort pour les traîtres. Les exécutions ne sont plus annoncées à l'avance. En outre l'échafaud ne sera plus surélevé mais placé devant les murs des prisons à partir de 1875. L'ensemble paraît alors fort petit, d'après Jean Goudareau, avocat qui assista à la dernière exécution. L'horaire est déplacé à l'aurore pour plus de discrétion, et cette quasi absence de public fera s'interroger Victor Hugo sur "l'exemplarité" de l'ensemble.



Selon un rituel qui sera conservé jusqu'à l'abolition, le condamné attendait la grâce présidentielle. Si celle-ci n'était pas accordée, on réveillait le prisonnier tôt le matin (entre 4 et 8  heures) pour lui annoncer son exécution imminente. Le condamné pouvait entre autres écrire à ses proches,  recevoir les derniers sacrements et fumer son ultime cigarette. Puis il était mené à la guillotine: le temps entre son éveil et l'exécution excédait rarement trente minutes.



L'engin hérite au XIX et XXème siècles  d'autres surnoms:  le « massicot »,  la « bécane », les « bois de Justice », «la  bascule à Charlot » (du nom de Charles Sanson, le premier bourreau) et « veuve à Deibler" (du nom de la dynastie des bourreaux Deibler qui ont succédé aux Sanson). De son temps, les mauvais garçons à l'humour noir pouvaient avoir un tatouage au cou en forme de pointillé, avec le mot "Deibler".

Quelques exécutions resteront dans les mémoires telles que que celles de Lacenaire le poète, qui aurait eu suffisamment d'humour pour commenter: "Voilà une semaine qui commence bien mal" car il avait été conduit au supplice un lundi. "Messieurs, n'avouez jamais!" affirmera pour sa part l'assassin Jean-Charles-Alphonse Avinain qui avait espéré la perpétuité en échange de ses aveux mais fut néanmoins exécuté.


Marcel Petiot tua jusqu'à une soixantaine de candidats à l'exil (juifs ou malfrats) pour récupérer leurs économies, sous l'Occupation. Ses derniers mots furent: "Ne regardez pas, maître, ce ne sera pas beau à voir" à son avocat.



Plus sinistrement, Peter Kürten, le vampire de Düsseldorf, demandera "Quand ma tête sera tranchée, serai-je capable d'entendre le son de mon propre sang gicler de ma nuque? Si c'était le cas, ce serait l'ultime moment de plaisir qui conclurait tous les autres!"



Il était allemand, mais la guillotine avait en fait été adoptée dans d'autres pays , malgré qu'on en aie fait une spécificité française.  L'Allemagne (jusqu'en 1968), la Belgique (jusqu'en 1918), la Suisse (jusqu'en 1902), et la Suède (unique exécution en 1910) l'emploieront. En Allemagne en 1943 c'est hélas la façon dont les étudiants chrétiens du mouvement de résistance Rose Blanche périront.




L'exécution d'Henri Pranzini, qui tua sa maîtresse, sa fille et sa servante à Paris est remarquable sur deux points.



D'abord, en apprenant dans la presse que Pranzini avait refusé de se confesser, une adolescente de 14 ans, Thérèse Martin, pria longuement avec sa grande sœur pour le salut de son âme. Le 31 août 1887, sur le chemin de la guillotine, Pranzini appela l’aumônier et embrassa son crucifix avant d'être exécuté. Lisant ce dernier détail dans les journaux, Thérèse s'exclama : "Je l'ai sauvé!" . Plus tard, elle deviendra célèbre sous le nom de Sainte Thérèse de Lisieux.



Plus prosaïquement, on fera des portefeuilles de la peau de Pranzini (!)  et face au scandale les familles seront autorisées à récupérer les corps des exécutés désormais (si personne ne les réclamait, ils finissaient sous le "carré des suppliciés").


Avant même d’ailleurs que les corps ne soient "détournés"de la sorte, on se posera tout au long du XIXème siècle la question: est-il exact que cette mort était aussi rapide et indolore qu'on le disait au départ, ce "léger souffle sur le cou" comme dirait Jean Yanne?


Les scientifiques émirent très tôt des doutes. Déjà, sous la Révolution, la tête de Lavoisier aurait cligné plusieurs fois. Le bourreau gifla celle de Charlotte Corday qui devint toute rouge. En 1905, un condamné du nom de Languille rouvrit trois fois les yeux et fixa le docteur qui l'appelait . D'autres médecins eurent l'occasion de vérifier que le cœur battait encore , et la perte de conscience n'intervenait que quatre à dix-sept minutes plus tard!

Alexandre Dumas en tira une nouvelle absolument horrifiante (Les Mille et un fantômes) ; dans laquelle, sous la Terreur, un chercheur en physique, Albert, découvre  dans une chapelle la tête de sa bien -aimée guillotinée Solange. Bien que l'exécution aie eu lieu voici des heures, le jeune homme s'entend appeler par son nom et trouve un sac contenant la tête de Solange, qui pleure et appelle son amant. Celui-ci la nomme trois fois avant de voir la tête perdre subitement toute apparence de la vie.



Et puis, il y eut des ratés, comme des lames qui s'enrayent, ou les coulisses qui s'usent et la tête tranchée au niveau de la mâchoire plutôt que du cou quand la lame en est déviée. Dans certains cas il faudra s'y reprendre à trois fois ou "finir" au couteau (D'ailleurs un de ces bourreaux maladroits sera lui-même condamné pour cette raison, sous la Révolution!).

Le président Armand Fallières était abolitionniste, suspendant tout exécution entre 1905 et 1909 puisqu'il gracie systématiquement (ce qui était déjà le cas pour les femmes depuis 1887). En 1908, il met l'existence  de la peine de mort en référendum. Il est vrai qu'à cette époque, certains pays voisins n'organisent même plus d'exécutions publiques-comme en Grande -Bretagne, depuis 1868 déjà.



Mais la majorité pour le maintien l'emporte et clôt le débat pour plus de 70 ans (que les Communards aient mis le feu à la guillotine en 1870 n'avait sans doute pas rassuré les représentants de l'ordre).


  Le scandale de l'affaire Soleilland en 1908 y était aussi pour beaucoup. Albert Soleilland, après avoir tué Marthe, 10 ans, sera gracié par Fallières et envoyé au bagne de Guyane. Ce dernier n'avait rien du Club Med, mais les gens de l'époque l'avaient perçu de cette façon.




Les élus semblaient absolument convaincus de la valeur dissuasive de la peine capitale, si on en croit les unes du Petit Journal d'alors. "L'apache (c'est à dire le mauvais garçon parisien ) n'est pas effrayé par la prison, la guillotine l' épouvante."




La bande à Pollet, premiers nouveaux exécutés en 1909.


Mais d'où donc vient cette persuasion que tout criminel ne craint pas la prison à  perpétuité mais la mort, si? Rien n'est plus difficile à cerner que la façon de penser d'un tueur-après les avoir interviewés pendant trente ans, même le spécialiste Stéphane Bourgoin admet qu'il n'y en pas deux qui ont la même psyché.



Certains furent remarquablement désinvoltes devant l'échafaud et il y eut des tueurs pour  réclamer la peine comme Claude Buffet en 1972.  Et puis nombreux sont les criminels à s'estimer plus malins que les autorités. Si jamais ils songent aux conséquences (ce qui n'est pas le cas des psychopathes), les assassins escomptent bien devenir des affaires jamais résolues , ou cold cases (c'est bien possible, rappelez-vous de Jack l'éventreur, du Zodiaque, de Dahlia noir...) et ainsi s'en tirer.




Et puis comma dira plus tard l'avocat Robert Badinter, depuis quand la peur de la mort retient-elle systématiquement les humains? L'existence des soldats, des athlètes extrêmes, ou des cascadeurs prouve que non.

La "valeur dissuasive" peut être très discutée quand on sait qu'en l'absence de peine de mort, les meurtres  en France ont diminué de 50% en 15 ans (1600 assassinats en  1995, 675 en 2010). Et qu'après avoir connu un pic dans les années 1970 et 1980, le nombre de  tueurs en série a remarquablement chuté en occident. La raison tient sans doute au progrès de la science, des méthodes de profilage, et des analyses ADN qui doivent sans doute bien mieux dissuader.



Mais en 1908, personne n'avait accès à ces statistiques. Pire, les exécutions étaient encore publiques contrairement aux pays limitrophes. Spontanément, on les avait montrées aux gens depuis des siècles, toujours pour la valeur dissuasive. Mais Victor Hugo, fervent abolitionniste, objectait que, contrairement à la guillotine de son temps "qui disparaît dès qu'elle a fait son coup", les gens de 1482 dans Notre Dame de Paris allaient aux supplices comme on va au spectacle-spectacles longs et quasi permanents.



Le 17 juin 1939, on décapite en public l'assassin Eugène Weidemann- l’événement est photographié, filmé, et la foule se précipite pour tremper des mouchoirs dans le sang, comme sous la Révolution, du reste. Disons qu'il y avait là plus spectacle que dissuasion (et les "A mort! " hurlés par les foules devant les tribunaux jusque dans les années 1970 ne laissent hélas pas de doute sur le fait que les gens  n'avaient guère d'empathie).



Ma grand-mère, abolitionniste, m'avait rapporté l'histoire d'une jeune femme devenue folle après avoir vu cette dernière exécution publique. Peut-être une légende urbaine colportée par la presse; mais quoi qu'il en soit les exécutions suivantes auront toutes lieu en privé par la suite. Moins de publicité, les "bois de justice" commencent à embarrasser....

Pas assez pour disparaître dans la foulée cela étant dit. Vous avez sans doute déjà entendu l'expression "c'est du grand-guignol", souvent associé au gore excessif et plus précisément aux mauvais effets spéciaux des films de ce genre. A l'origine, le théâtre dit du "Grand Guignol" à Paris (1896-1963) était spécialisé dans les mises en scènes macabres, préfigurant le cinéma d'horreur.



Je n'ai trouvé qu'une vidéo mettant en scène quatre pièces de son répertoire...et sans surprise, la guillotine y tient deux fois le premier rôle  (La veuve et Vers l 'au delà).



La veuve est burlesque (version humour noir) avec un visiteur de musée qui se coince dans la guillotine d'une salle consacrée à la Révolution...et meurt quand un gardien actionne le mécanisme pour une photo, persuadé (à tort) que la lame était en carton. Dans Vers l'au delà, un médecin use d'hypnose pour qu'une cobaye s'identifie à une décapitée, puis relate ses dernières impressions-et le tout finit de manière dramatique.  Bref la guillotine était alors assez bien ancrée dans l'imagerie populaire pour donner l'expression, encore utilisée aujourd'hui "sauver sa tête" après un procès.

Durant l'Occupation, le régime de Vichy durcit les choses; outre des résistants, on exécute de nouveau des femmes pour la premiere fois depuis  54 ans. Elisabeth Lamouly eut la mauvaise surprise d'être condamnée en 1941 pour l'empoisonnement de sa mère et son mari; la perspective la rendra folle et il faudra la traîner au supplice sans avoir pu l'habiller. Germaine Legrand bat à mort son beau-fils en 1942 et répète au matin de l'exécution: « Ne me tuez pas, mettez-moi à perpète ! » avant de se raisonner. En revanche, Lucienne Thioux qui avait tué son mari dut être traînée de la cellule à l'échafaud, et s'urina dessus de peur en criant "Je n'ai rien fait ! Je n'ai rien fait !"en 1947.


Avec le 20ème siècle cependant, la peine de mort apparaît de moins en moins acceptable. Dès 1910, on n'exécute plus en en Suède, puis à partir de 1944 en Finlande. La dernière exécution a lieu en 1949  en Allemagne de l'Ouest, en 1950 en Belgique et en Autriche, en 1969 au Royaume-Uni...





Mais en France en 1975 "La guillotine, chez nous aussi,  fonctionne encore" chantait Renaud dans sa chanson Hexagone. Il faisait référence au vers précédent à une exécution en Espagne sous le régime franquiste...qui sera la dernière pour ce pays, alors que ce ne sera pas le cas en France.

Précisons quand même que le Général de Gaulle sera le dernier président français convaincu de l'efficacité de la peine  de mort. Pompidou, puis Giscard d'Estaing le seront beaucoup moins et gracieront souvent; mais ne franchiront jamais le pas de l'abolition en raison de leur dégoût de certains crimes. Giscard d'Estaing notamment avait prévenu qu'il ne gracierai pas les assassins d'enfants et de vieillards.



En 1972, ce seront  les récidivistes Buffet et Bontems, auteurs d'une prise d'otages en prison, que Pompidou ne graciera pas. Les otages avaient été tués par Buffet, mais pas par Bontems qui tombera pour complicité.


Son avocat abolitionniste , Robert Badinter, dira plus tard : "Je n'oublierai jamais qu'on a exécuté un homme qui n'avait pas tué." (Bontems était en prison pour attaque à main armée mais pas pour meurtre).



Controversée certes, mais la guillotine servira encore après le procès Christian Ranucci. En 1974, ce jeune homme de 20 ans est condamné pour le meurtre de Marie-Dolorès, une fillette de huit ans. Conformément à ce qu'il avait annoncé, Valéry Giscard d'Estaing ne gracie pas. Le problème, c'est que Ranucci n'a cessé de clamer son innocence et de nombreuses zones d'ombre subsistent encore  dans son dossier aujourd'hui. On peut toujours libérer un innocent emprisonné par erreur; mais que faire si la méprise  concerne un condamné?



Cette glaçante perspective fait qu'aujourd'hui encore, beaucoup de gens croient que cette exécution fut la dernière...mais non. Badinter sauvera plus tard Patrick Henry (bel et bien coupable, et toujours de meurtre d'enfant. Mais la lecture d'une lettre de la mère de Christian Ranucci à son procès incitera à la clémence.) et Philippe Maurice (aussi coupable) sera le dernier gracié. Leurs destinées seront très différentes: Henry retournera en prison pour trafic de haschisch et Maurice est aujourd'hui docteur en Histoire médiévale.




Mais pas de grâce pour Jérôme Carrein,  alcoolique notoire, tueur d'une enfant de huit ans en 1975 et dernier citoyen français guillotiné. Ni pour Hamida Djandoubi, dont la victime, (son ex ) Elizabeth Bousquet, était pourtant adulte. Mais son meurtre fut précédé de tortures, ce qui explique sans doute pourquoi Valéry Giscard d'Estaing laissera "la justice suivre son cours".



Djandoubi était unijambiste depuis un accident en 1971, et on ne lui rendra sa prothèse que juste avant de marcher au supplice. Ce qui fera dire à Robert Badinter qu'il était tragiquement ironique qu'un homme regagne 10% de son corps avant de les perdre à nouveau...par ailleurs. Djandoubi aurait demandé une troisième cigarette du condamné, ce qui lui aurait valu cette réponse terrible du bourreau: "Nous avons perdu assez de temps". Ce monsieur n'aurait pas dû être si pressé pourtant, vu sa mise au chômage technique sous peu.


Ces deux exécutions eurent lieu en 1977.  Vous avez bien lu, 1977, l'année de la sortie de Star Wars un nouvel espoir, des  Magnolias for ever  de Claude François , du mouvement punk, de la popularisation du disco. Ces choses-là se faisaient encore et faisaient de plus en plus tache puisque la France était le dernier pays d'Europe occidentale à toujours appliquer la peine capitale.



A l'étranger, on ne manquait pas de le surligner comme Franquin qui était belge, et chez qui c'était de l'histoire ancienne. Mais il n'hésitait pas à mettre en scène le paradoxe de la loi dans sa série des Idées noires. 




En 1981, François Mitterrand tient sa promesse de campagne en nommant Badinter garde des sceaux. Le 9 octobre de cette même année, ce dernier prononce l'abolition.



La dernière guillotine à avoir servi est démontée et envoyée à la prison de Fresnes, mais pour les curieux, il en existe d'autres exemplaires authentiques exposés comme par exemple au sous-sol du bar Le caveau des oubliettes, à Paris.




C'était l'un des instruments de mise à mort les impressionants visuellement-expliquant qu'elle soit sur la place de la ville d'Halloween dans L'étrange noël de Mr Jack, même si tout porte à croire qu'elle ne sert pas.



Ou encore sous la forme des jouets de Noël non traditionnels créés par les habitants.

Ou bien qu'elle sert de "jouet" morbide aux enfants de la famille Addams.



Trente ans plus tard, tout le monde sait-il que l'abolition a eu lieu? On peut se le demander car dans le film britannique  Johnny English sorti en 2003, le méchant, Pascal Sauvage, est un français qui cherche à déposer Elisabeth II. Quand son plan échoue, on entend à la radio que les méfaits de Sauvage lui vaudront d'être guillotiné...l'ennui, c'est que le film est censé se dérouler en 2003, vingt ans après l'abolition !



Autre méconnaissance apparemment commune en pays anglo-saxon, le sens où l'on couchait le condamné. Une pub Crunch montrait un condamné sous la Révolution la tête tournée vers le ciel; or on évitait aux prisonniers de voir arriver "la mort en face" en tournant leur visage vers le sol (même si on prétend que Lacenaire, lui encore, se serait retourné pour voir  arriver la lame!)


Pubert, dans le mauvais sens dans Les valeurs de la Famille Addams, a ainsi l'occasion d'arrêter la lame.

On retrouve aussi cette erreur dans l'épisode Tu veux la mettre où? de la série SF Les décalés du Cosmos (2005). De façon plutôt pessimiste, la guillotine y est de nouveau en usage en ce futur lointain  sur une planète exclusivement gay qui punit l'hétérosexualité de mort- aussi le commandant extraterrestre de l'équipage des héros, Ardillon, est condamné en même temps que sa maîtresse la cyborg Six.



 Question, pourquoi la guillotine? (les auteurs sont canadiens, ça n'a rien donc rien d'un provincialisme du créateur) L'épisode roulait sur de nombreux stéréotypes comme le fait que les gays seraient tous raffinés (le dernier repas à la prison c'est un risotto de homard...), et parce que la France a une image raffinée, donc?....

Quoiqu'il en soit, le fait qu'on dépose Six dans le mauvais sens est tout de même justifié par le scénario: être couchée vers le haut sur la planche fait bouger sa monstrueuse poitrine quand on l’ajuste. Le regard concupiscent que lui jette le gouverneur de la planète le révèle comme hétéro dans le placard et il se fait lyncher par la foule en colère tandis que l'équipage s'enfuit.



Le conte des deux villes de Dickens et le Mouron rouge d'Emma Orczy semblaient prouver néanmoins que le monde anglo-saxon fut marqué, pour ne pas dire traumatisé, par l'engin (la pendaison en usage dans ces pays se faisait sans effusion de sang).  Ce qui n'empêchera pas des compositeurs anglo-saxons d'écrire des chansons plutôt badass sur le sujet...


Madame Guillotine, dans la comédie musicale du Mouron Rouge, à propos d'un aristocrate britannique sauvant les nobles français de l'instrument.


C'est même le nom d'une héroïne française de Marvel pourvue d'une épée maléfique...
Quant à Tina, c'est l'une des rares "Crados" non exportée en France en 1989, alors en pleine commémoration du Bicentenaire de la Révolution.   Coïncidence? Je ne crois pas!




Il n'existe peut être aujourd'hui qu'une personne pour regretter l'abolition, et dont je ne peux prouver l'existence que je n'ai  pourtant jamais oubliée. Dans les années 2000, passait sur le câble une émission que j'adorais, Excentriques, mais dont le titre trop général fait que je n'en retrouve hélas aucune trace aujourd'hui. Dommage, il présentait des portraits de gens bien originaux comme je les aime; du fan de Dracula dormant dans un cercueil aux familles déterminées à vivre comme dans les années 1910 ou 1950 (l'émission Les Excentriques sur TV5 lui ressemble beaucoup, mais ce n'est pas ça...).

Un témoin pourtant réussira à bousculer mes standards de tolérance pourtant  élevés en la matière et me mit très mal à l'aise.



Une scandinave d'apparence très ordinaire, pas gothique pour deux sous (ce qui est peut être encore plus glauque) serait devenue fan de guillotines après en avoir vu une dans un film historique étant enfant. Sa collection sur le sujet serait aussi devenue assez grande pour transformer en musée la maison de "Mme Guillotine" comme elle se surnommait.



 Et encore, me direz-vous, ce n'est pas pire que de dormir dans un cercueil...je pensais pareil mais deux détails supplémentaires m'ont glacé le sang: Mme Guillotine, célibataire, dormait toutes les nuits en tenant un modèle réduit de la "veuve" comme d'autres dorment avec un ours en peluche. Et ce n'est pas juste la guillotine que cette femme semblait aduler, mais carrément l'idée de la peine de mort! Elle  correspondait en effet avec un américain condamné (à l'injection létale, donc rien à voir) qui l'avait invitée à son exécution...où elle avait hâte de rendre!



Même les Etats-Unis, dernière démocratie d'occident à appliquer la peine de mort, devraient pourtant finir à plus ou moins brève échéance à renoncer à l'injection létale. Non par humanité, selon Robert Badinter qui continue le combat, mais plus simplement car les condamnations coûtent plus cher que la prison à vie-notamment en raison des procès d'appel à répétition.



Nous ne pouvons que nous réjouir, en cette journée mondiale contre la peine de mort, de la fin des "bois de justice". Souvenez-vous ce qu'en disait Victor Hugo:

"Se venger est de l'individu, châtier est de Dieu.
La société est entre deux. Le châtiment est au-dessus d'elle, la vengeance au-dessous. Rien de si grand et de si petit ne lui sied. "