dimanche 21 avril 2019

Aladdin, le live : le film d'origine (01)


Critique film d'origine partie 01
Critique film d'origine partie 02
Critique film d'origine partie 03(climax)
Critique film d'origine partie 04 (climax)
(Version audio de ceci, mais je raconte, en plus, la genèse du film en début de podcast.)



Je profite de l'occasion pour parler du film original pour une raison simple, je n'en avais jamais eu l'occasion jusqu'ici.

C'est l'un de mes films d’animation préférés, mais, quand on considère le conte dont c'est adapté, ce n'était pas forcément bien parti pour moi. Contrairement à La petite sirène et La Belle et la Bête que je trouvais déjà émouvants sous leur forme écrite, le conte d'Aladdin ne m'avait jamais captivée plus que ça. A cause d'un titre qui rime avec des mots pas forcément agréables en français (comme "eau de boudin") mais pas seulement. Un personnage qui acquiert la possibilité à l'infini d'obtenir ce qu'il veut sans  effort (y compris la princesse, réduite à un personnage- fonction), bof, c'est vite ennuyeux (ne soyez pas surpris que ça aie changé dans l'adaptation). Et un personnage qui n'est même pas méritant, dans le conte! Cendrillon, elle au moins, l'était, et puis la marraine fée ne passe qu'une fois: après, à elle de se débrouiller.


Le film, heureusement, a magnifiquement transcendé tout ceci.
Un film qui était -et est encore-un cas bien particulier sur un point. A l'époque, il était le premier grand classique centré sur un personnage humain de sexe masculin, et  adulte.




Auparavant, il n'y avait eu que des jeunes garçons comme Peter Pan, Mowgli, Moustique ou Taram. Un héros adulte était jusqu'ici synonyme de prince charmant générique et ennuyeux.



L'exercice dut en fait sembler si intimidant aux animateurs qu'ils commenceront par dessiner  Aladdin semblant entre douze et quinze ans (on peut en voir encore des traces dans la chanson Je suis ton meilleur ami). 




Il avait aussi des préoccupations plutôt enfantines à l'époque (rendre sa mère, alors vivante comme dans le conte de fées, fière de lui comme dans la chanson coupée  Proud of your boy.)

Pourtant, ils avaient bien réussi un héros masculin tel que le prince Eric peu de temps auparavant...(ou même le prince Philippe encore avant). Ce dont a dû se souvenir le directeur du département animation de l'époque, Jeffrey Katzenberg.  Bien que célèbre pour ses mauvaises décisions, il avait eu un rare trait de génie -sans jeux de mots- quand il vit à quoi ressemblait Jasmine (désignée plus tard) . "Que lui trouverait-elle? " pensa-t-il alors. Et on arriva à un protagoniste (environ 18 ans) qui tenait plus de Tom Cruise que de Michael J.Fox, aux côtés de Julia Roberts, pour reprendre les termes d’époque. Cet adulte, devenu orphelin et solitaire,  aura dès lors la princesse comme principale préoccupation.



Ajoutez-y le fait qu'Aladdin était l'un des héros Disney le moins vêtu jusqu'à Tarzan, et il devint l'un des crush d'enfance les plus répandus chez les femmes de cette génération (et chez une certaine catégorie d'hommes).



Mais au départ, le but était plutôt l'identification. L'histoire d'origine était à la fois célèbre pour son usage du fantastique, mais aussi un certain côté aventureux. Ajoutez-y un protagoniste de sexe masculin et là : avant d'effectivement cibler les jeunes garçons massivement à l'arrivée du nouveau millénaire (Tarzan, Atlantide, La planète au trésor), les studios ont fait là un de leurs premiers pas en direction de ce public...



Concernant le film proprement dit, à l'époque de la sortie, tout le monde avait été frappé de son humour. Bien sûr, le star talent est devenu aujourd'hui banal. Quoi de plus commun maintenant qu'une vedette prêtant sa voix au protagoniste d'un film en CGI avec des animaux parlants, et qui assurera un maximum de couverture médiatique (gratuite) en en parlant sur chaque plateau télé où on l'invite?



Mais point de tel calcul en embauchant le premier star talent en animation, feu  Robin Williams, donc. Il était doué en imitations,  ce avait été rendu évident dans certains films comme Good morning Vietman et Madame Doubtfire. Mais il s'en servait bien avant, déjà,  dans des spectacles de one man show.



Eric Goldberg, animateur du Génie, voulait savoir  si le fait de le faire changer constamment d’apparence collait avec des imitations...et vérifiera la théorie en réalisant un bout d'animation sur l'extrait d'un disque d'un spectacle de Robin Williams .

Celui-ci sera assez impressionné du résultat pour doubler le personnage proprement dit. En fait, il aurait fait des heures et des heures d'improvisation, et la difficulté pour les animateurs aurait été de choisir quoi garder. Même au stade du story- board, des coupes ont encore été faites, comme le prouvent pas mal d'extraits d'animatiques traînant sur Youtube.



Et Williams n'était même pas le seul. Gilbert Gottfried, la voix de Iago, était lui aussi porté sur l'improvisation.




C'est lui qui avait par exemple lancé l'énumération  "Les flingues, les sabres, les couteaux..." dans la scène qui suit celle où le fait que Jafar est un traître est exposé. C'était en fait nettement plus long et comprenait aussi un "dépresseur de langue" (ne me demandez surtout pas ce que c'est).




Un résultat si drôle, donc (avec ce qu'on appelait alors "l'animation dérangée"), que des psychiatres auraient recommandé Aladdin à des patients déprimés au moment de sa sortie.

Sauf qu'aujourd'hui, ironiquement, le dessin animé est classé comme "film de princesse". Et comme l'un des plus romantiques avec La belle et le clochard.




Que s'est il passé? Déjà, huit ans après la sortie d'Aladdin, la franchise merchandising des Disney princesses était crée, avec Jasmine dans les membres fondateurs ( six à l'époque).


Elle devait bien marcher à l'inverse de la ligne Disney heroes (centrée sur Tarzan, le prince Philippe, Hercule, Peter Pan...) destinée aux jeunes garçons et qui disparut vite (vous comprenez pourquoi, maintenant, il a fallu acquérir Marvel et Lucasfilms pour intéresser le jeune public masculin?).


Vingt ans plus tard, nous nous sommes accoutumés à voir le groupe des Disney princesses (agrandi à onze devant le succès) un peu partout: Kingdom hearts, Princesse Kilala, Princesse Sofia, Ralph 2.0, . ..


Dans les parades des parcs Disney il y a toujours un segment qui leur est consacré. Et  je ne vous parle ni des disques ni des "specials" en vidéo.



Alors oui, Jasmine est la seule de toutes à être la deutéragoniste de son histoire (on y avait pas pensé plus que ça à la création de la franchise, qui rassemblait simplement les princesses issues de contes). Reste que son film est puissamment associé à cette image, et que Jasmine est une "schtroumphette mise en avant", selon l'expression qui dit que la seule fille dans une oeuvre (comme la Schtroumphette, donc) devient l'un des personnages les plus plébiscités du public ensuite.



On peut s'amuser de ces livres estampillés "Disney princesses" au rayon librairie, qui soit mettent Jasmine en avant dans une histoire, soit racontent l'originale de son point de vue...



Dans le film, le fantastique était indéniablement présent (avec un Génie qui change de forme constamment pour appuyer ses propos, il ne peut en être autrement). Tout comme l'aventure.


A cause d'une fin de climax qui tabasse, et aussi une sortie épique d'une caverne qui s'effondre.

Maintenant le CGI en animation fait tout (y compris l’animation tout court) mais en 1992, le tapis en 3 D et sa sortie en urgence, c'était digne d'un jeu vidéo (de quoi clouer au fauteuil).



 Mais justement: depuis on a visuellement eu  plus impressionnant , ou plus tourné encore vers l'action-aventure (films Disney du début des années 2000).

Même l'aura comique s'est un peu évaporée, d'une part car les personnalités imitées par le Génie ne disent plus grand- chose aujourd'hui, de la même façon que Les guignols de l'info n'ont pu faire rire que les français des années 1990-2000 .

Déjà en 1993, j'étais assez perplexe en tant qu'européenne, devant certaines têtes américaines (sauf les plus universelles comme Arnold Schwarzenegger  ou Jack Nicholson).



Et d'autre part,  depuis, d'autres grands classiques ont acquis la réputation d'être plus humoristiques encore comme Hercule et surtout, Kuzco l'empereur mégalo. Qui est rappelons-le 100% parodique en ce qui le concerne.



Dans Aladdin, on faisait encore de la place au drame, à l'émotion, au suspens, à la peur même-bref un scénario encore sérieux malgré tout (l'un empêche pas l'autre comme l'avait déjà prouvé le film Princess Bride).








Et c'est là qu'on en arrive à l'aura romantique. Pas forcément calculée au départ, d’ailleurs.





C'est tout simplement dû à un impératif du scénario: vu la différence de classes entre les deux protagonistes, il ne fallait pas qu'Aladdin  paraisse vulgairement intéressé. Quant à Jasmine, elle devait trouver dans cette relation un moyen concret d'exprimer sa défiance envers les lois matrimoniales de son époque, et de façon plus générale "reprendre vie" après avoir été si longtemps dans le carcan de son rang. Et donc s'investir dans cette histoire, elle aussi. Il fallut rendre manifeste l’intérêt qu'ils se portaient ( avant même que Jasmine ne révèle son identité, donc). Et que dire de plus sinon: ce fut très bien joué.



Souvenez-vous par exemple qu'au moment d'énoncer son premier vœu, Aladdin pense à Jasmine spontanément, et de plus la décrit en parlant d'abord de sa personnalité avant son physique.



Au point qu'on croit totalement à la dernière scène, dans un grand classique, d'un coup de foudre  "premier degré" .






Qui normalement est le niveau zéro de l'écriture paresseuse, ce qui explique qu'il aie presque disparu par la suite dans les grands classiques; sauf pour être parodié (Il était une fois), ou inversé de glaçante manière (La reine des neiges, sans mauvais jeux de mots).



Mais ici, non. C'est vraisemblable, ont dit la plupart des critiques. Pour une raison très simple: les princes et princesses passaient trois minutes (le temps d'une chanson) ensemble après leur rencontre jusqu'ici. Dans La petite sirène, par la force des choses, Ariel et Eric n'avaient pas eu le temps de se parler. Eric ne pouvait même pas être sûr de la réalité de l'existence d'une femme vue trois secondes.



Ici, pour une fois, un couple Disney prend le temps d'échanger à l'abri des regards, et de constater qu'ils ont des problèmes semblables en dépit d'un milieu d'origine pour le moins différent.



Tandis que des dizaines de détails (le fait de se comprendre instantanément et de marcher spontanément dans la même combine alors qu'ils se connaissent depuis trois secondes, quelques regards appuyés, ou lapsus révélateurs) construisent une alchimie rarement vue dans un film d'animation.







Il y a leur duo, bien sûr, puissant tant dans son imagerie que musicalement parlant. Ce n'était pas la première chanson romantique dans un grand classique : C'est ça l'amour, Bella Notte, Embrasse-la, Histoire éternelle...


Oui mais: il s'agissait de scènes "statiques" jusqu'alors (de bal, de promenade, ou de dîner). Cet envol,  et parcours de lieux variés, reste la parfaite métaphore d'un départ simultané au septième ciel.


C'est aussi le premier véritable duo entre les deux personnages concernés depuis J'en ai rêvé. Les chansons romantiques, sont souvent, en fait, chantées par un  ou des tiers (Bella Notte, Embrasse-la, Histoire éternelle, L'amour brille sous les étoiles) . Ou bien par un seul des héros: Un jour mon prince viendra, Hier deux enfants, Jamais je n’avouerais...

Il n'y a que quatre duos romantiques dans les grands classiques: Je chante pour toi (Bambi),  C'est ça l'amour, J'en ai rêvé et Ce rêve bleu, qui reste le plus fameux du lot. On prétend même que Lea Selonga et Brad Kane, (les voix chantées originales de Jasmine et Aladdin) auraient, selon la rumeur, craqué l'un sur l'autre à l'époque de l’enregistrement, ce qui aurait aidé à faire ce dernier. Même si ce n'est qu'un racontar d'actor shipping, je le trouve parlant.

Sans parler du fait que pour les couples humains de grands classiques, jusque là, il fallait toujours attendre la fin pour les voir s'embrasser.



 Toujours dans le but de lever une malédiction, ou au moins dans l'euphorie de la victoire. Les années 90 se montreront moins chastes de ce point de vue là, mais pour diverses raisons La petite sirène

(ce n'est pas faute d'essayer)


 ou La belle et la bête ne pourront nous montrer cela avant l'euphorie de la victoire finale, donc.

 Le baiser de  conclusion étant aussi dans Aladdin, d'ailleurs.




Cependant, celui au balcon doit être l'un des plus connus du cinéma avec la version administrée à l'envers dans Spider-man. S'il est peu reproduit dans les parodies, les fanarts sur le sujet sont innombrables. Et les représentations dans le merchandising aussi.

























A cause de l'aide inattendue du tapis, ou parce que ça a la réputation d'être un french kiss, cas rare dans l'animation tout public (je ne disais pas que c'était moins chaste, il y a peu de temps?). Un peu des deux, sûrement.




Mais aussi parce que c'est donné sans l'impératif de briser un sortilège, ou parce que l'histoire se finit.  Ça conclut un premier rendez-vous réussi, comme le ferait un couple bien réel. C'est ce fameux réalisme, finalement, qui nous fait sentir proche de ce couple, perçu comme l'un des plus beaux de Disney.




Le fait d'être réputé être plus le sexy, chacun dans sa catégorie (prince et princesse Disney), aide beaucoup. Jasmine, il est vrai, est presque tout le temps nombril à l'air et certainement était le crush d'enfance de bien des garçons aussi.



Il est temps d'énoncer une vérité étonnante: au fond, ce grand classique avec un protagoniste masculin est construit comme un "film de princesse" habituel.

D'abord à cause la ressemblance avec l'histoire de Cendrillon. Comme elle, Aladdin échappe à une vie de misère grâce à une créature magique. Ils obtiennent une apparence de princesse (ou de prince) qui permet l'entrée au palais royal, et une histoire d'amour débute avec l'héritier/ère du trône, permettant une fin heureuse.





Mais il y a de quoi être frappé par des péripéties absentes des deux contes originaux, et qui font ressembler Aladdin de façon étonnante au film précédent des deux réalisateurs, La petite sirène.  Les personnages titres n'aiment pas leur vies présentes, et sont attirés par un monde radicalement différent du leur (la surface/le palais).




Cette attirance s'incarne par une personne issue directement dudit monde (humain/princesse) rencontrée dans la foulée.







( Et qui semblent avoir une fascination inversée pour l'autre monde d'ailleurs. Eric est indéniablement intéressé par la mer-son château est à côté et  il fête son anniversaire dans un bateau. Jasmine fugue délibérément pour découvrir le monde au-delà du palais).

Une séparation a lieu en raison de leurs différences insurmontables.

Mais un deal est passé avec un être aux pouvoirs surnaturels (malveillant dans un cas et bienveillant dans l'autre, c'est la principale différence).


Cela dit dans les deux cas,  c'est le/la méchant(e) qui pousse le personnage titre dans cette direction en manipulant ses nouveaux sentiments (dans La petite sirène, les deux fonctions sont remplies par Ursula).




Les protagonistes obtiennent provisoirement une apparence semblable à l'être aimé dans le but de le/la conquérir. Même s'il y a une limite en base trois (de jours, ou de vœux).



Le love interest  additionne plus ou moins rapidement deux et deux, ayant des doutes identitaires sur celui ou celle qui vient de réapparaître...




et  le/la  méchant(e) s'assure que la base trois soit de plus en plus réduite avant que l'objectif soit atteint.





Jusqu'à ce que l’antagoniste révèle brusquement la véritable apparence et l'identité du personnage titre, devant le/la bien-aimé(e).




 Non franchement, l'air dévasté dans un cas et stupéfait dans l'autre, sont étonnamment proches, visuellement. Et jusqu'à l'emploi de la phrase "Je voulais te le dire".




 Le climax permet de se débarrasser de l'antagoniste (monstre géant dans les deux cas), mais après? Notre protagoniste est redevenu l'ancien lui, ou elle. Une nouvelle séparation se profile...




jusqu'à ce que la situation soit résolue  par l'intervention du père de l'héroïne, qui détruit l'obstacle encore présent, et happy end.





Patte des réalisateurs (John Musker et Ron Clements?)



Je ne suis pas de cet avis: leurs films suivants (La planète au trésor, Vaiana, et même La princesse et la grenouille) n'ont pas cette construction. Aladdin a donc celle, typique, d'un film de princesse du début des 90's...Ce qui fait du film le seul de "Disney prince", si on ose l'appeler ainsi. Rappelons qu'on a affaire au seul personnage masculin de grand classique motivé (une fois la deutéragoniste rencontrée) avant tout par l'amour, comme les princesses classiques. Simba, lui l'est plus par la reconquête de son honneur ou Taram par le fait de devenir un héros....

Pourtant le marketing n'assumait pas: avant que le merchandising focalise principalement sur le personnage féminin, la célèbre adaptation vidéoludique, par exemple,  faisait focus sur l'action/ aventure au point de faire l'impasse sur tout le milieu du film (et donc sur Ce rêve bleu, pas moins!) , et on y voyait pratiquement pas Jasmine.

Comme sur la jaquette.


Qui a dit qu'un homme faisait un mauvais personnage principal de conte fées? Et  surtout, pourquoi le marketing décrète -t-il que les petits garçons ne devraient aimer n'être que des super-héros; pourquoi un destin à la Cendrillon ne les intéresserait-il pas?