Comme le titre l'indique: un film live centré sur la méchante de La Belle au bois dormant. Autrement dit encore une adaptation de dessin animé/conte après Blanche-Neige et le chasseur, Alice au Pays des Merveilles selon Tim Burton, et Cendrillon en 2015 (toujours adapté de la version Disney).
Ça me semblait justifié, car Maléfique, son problème, c'est qu'on ne savait rien de ses motivations. Aucune idée de pourquoi elle était si vexée de ne pas avoir été invitée à un baptême. Si c'était juste "parce que",
ça faisait d'elle quelqu'un d'assez superficiel et rancunier, en contradiction avec la classe infinie qu'elle a par ailleurs. Dans le conte comme dans le film, on peut mettre cela sur le compte des lois et morale particulières des fées. Arracher les ailes d'une mouche pour elles est un acte barbare digne d'un exil alors qu'il n'est rien chez les humains.
Le cas des fées marraines est plus complexe encore, car elles sont les descendantes des Parques ou Moires.
Bien avant La Belle au bois dormant, le baptême du roi fée Obéron (il fut condamné à rester nain) ou du héros Beowulf (son existence fut liée à celle d'une chandelle) sont aussi gâchés par la présence d'une ultime fée mécontente, et celui des princesses de Serpentin vert (l'une devient laide) ou de La biche au bois (condamnée à devenir biche si elle voyait le soleil avant ses 15 ans) de Mme d'Aulnoy le seront aussi.
La raison? Les Parques représentaient la naissance, la vie et la mort; les anciens attendaient primitivement des prévisions plutôt que des dons et la dernière Parque, Atropos, était à la base là pour annoncer la date de la mort du nouveau-né. Imaginez le drame si elle annonçait une date trop proche! D'où une coutume de plus en plus fréquente d'"oublier" d'inviter la dernière fée même si cela se révélait toujours inutile, attirant à l'inverse son courroux. Et les "invitations", en laissant un couvert mis pour trois sur une table avec des denrées telles que du miel, du pain ou du lait après une naissance, devait se prolonger quelques siècles encore après la christianisation.
Mais en 1959, année de la sortie de La Belle au bois dormant, cela était oublié de longue date. Si ce n'est l'aspect très "faucheuse" de Maléfique.
Elle ne semblait plus donc avoir de motivation solide mais nul ne lui aurait demandé pourquoi: "Qui aurait osé discuter avec Maléfique?" comme le rapporte le Livre des méchants chez Walt Disney. (1995)
Elle n'en est pas moins une vraie bête de charisme, belle comme la reine de Blanche-Neige, mais terrifiante (surtout en dragon!) et réellement dangereuse, sans doute l'un des personnages les plus puissants avec Chernabog (Fantasia) et Elsa (La reine des Neiges).
C'est devenu une sorte de mètre étalon en la matière, inspirant rien que chez Disney Jafar dans Aladdin ou le principal Abigail Hardscrabble dans Monstres Academy.
Dessin de l'animateur de Jafar à celui de Maléfique. |
On en a par conséquent presque toujours fait le chef de file spirituel des méchants Disney (dans Kingdom Hearts notamment),
et aussi des "Divas des ténèbres", le doublon "méchantes" de la franchise des princesses Disney.
Elle est aussi au centre du téléfilm Descendants, (2015) via sa fille Mal, qui devra rejoindre une école pour enfants des gentils héros.
Seule faute de goût, Once upon a time, (quoique toute la série n'est qu'une immense faute de goût...) où non seulement Maléfique cède sa place de "Grande méchante Disney" à la reine de Blanche-Neige et a un rôle archi-secondaire, mais en plus la comédienne Kristin Bauer van Straten et sa choucroute blonde ne sont guère crédibles.
Tellement peu crédible qu'ils ont dû changer de costume la deuxième fois. |
Uniquement l'idée de faire d'elle la seule amie de la reine et de s'être mutuellement communiqué la recette du sommeil de mort était pertinente.
Et puis ce film donc. Visuellement, rien à dire, Angelina Jolie, bien que "jolie" est effrayante à souhait, ses costumes réussis, bref la claque visuelle. Bonne idée que de nous apprendre que c'était une fée (non une sorcière) privée d’ailes (c'était la grande différence entre elle et les trois bonnes fées du dessin animé.) Également que d'avoir réutilisé cette idée folklorique oubliée comme quoi les fées craignaient le fer (Mais aussi le bruit! Quand je pense qu'il aurait suffi de coups de canon!). La motivation qu'on lui a donnée ici est crédible, même si le fait d'avoir été trahie par un homme (le roi Stéphane) est plutôt cliché. Once upon a time était tombé dans cet écueil, avec la Reine Sorcière qui voulait aussi venger son petit ami. Alors que vouloir être la plus belle de toutes, c'est bien plus superficiel...et paradoxalement, cela fait d'elle une vraie folle psychopathe!
Donc, Maléfique, connaître son passé, ses motivations, et son point de vue, j'étais plutôt pour. Mais à condition qu'elle reste la méchante, ce qui n'est vraiment plus le cas.
Ici, Stéphane coupe ses ailes dans le but de les montrer au roi mourant et d'obtenir la main de sa fille, devenant le souverain suivant. Sachant qu'ils ont été amis puis amoureux, Maléfique en devient aigrie telle une certaine Morgane. Et pourtant, Stéphane a été relativement magnanime, sachant qu'il aurait pu tuer Maléfique en cette occasion...Mais n'ose pas.
Puis la fée noire se présente au baptême, tout se déroule comme on le sait, sauf que les trois fées (Hortense, Florette et Capucine, au lieu de Flora, Marguerite et Pimprenelle dans l'original) n'ont le temps de n’attribuer que deux dons. C'est Maléfique elle -même qui adoucit sa malédiction en y introduisant la clause du baiser d'amour sincère.
Puis comme dans le dessin animé la princesse Aurore est confiée aux trois fées pour la protéger. Mais cette fois, elles se révèlent fort incompétentes en matière d'enfants (pourquoi leur a -t-on confié le bébé alors?) et passent leur temps à se disputer. Quant à Maléfique et son familier corbeau Diaval (Diablo dans le dessin animé) qu'elle métamorphose fréquemment en d'autres espèces, ils retrouvent Aurore immédiatement, et...rien.
Maléfique jette des petits sorts de vexation de loin aux trois fées (rien de létal cependant) entretenant leurs disputes, et aide étrangement Aurore chaque fois que nécessaire, c'est à dire souvent.
Tant et si bien qu'ayant atteint 15 ans, Aurore franchit la barrière d'épines (semblable à celle autour du château dans le dessin animé) qui protège la Lande, pays des fées, et voyant Maléfique l'identifie comme étant "Ma fée marraine qui me protège depuis toujours!"
Elles deviennent amies contre toute attente, et Aurore rêve de rester pour toujours avec elle dans la Lande. Mais le jour où elle demande la permission à ses trois "tantes", est non seulement celui où Aurore croise un prince prénommé Philippe, mais aussi la veille de ses seize ans. Et les trois fées avouent la vérité. Maléfique a bien essayé de revenir sur la malédiction, mais en vain. La princesse retourne chez son père, est attirée par le rouet et s'endort. Maléfique prend les devants, amène Philippe...dont le baiser ne réveille pas Aurore. A sa décharge, ils ne se connaissent que peu et surtout, il soulève des objections au fait de ne pas lui avoir demandé son avis pour l'embrasser au préalable (Mieux vaut tard que jamais.).
Maléfique désespérée dépose un baiser maternel sur le front d'Aurore, et la réveille comme à la fin de la première saison d'Once Upon a time.
Maléfique éprouve ensuite des difficultés à fuir un palais hérissé de fer par Stéphane obsédé par sa capture. Elle transforme pour s'aider Diaval en dragon (autrement dit son corbeau et non elle-même, comme à l'origine), puis Aurore lui rend ses ailes. Maléfique vainc alors Stéphane, et pour finir nomme Aurore à la fois reine des hommes et de la Lande.
"... Cette histoire n'était pas tout à fait comme on vous l'a racontée." conclut Aurore qui narrait tout du long.
Maléfique aurait donc été victime de diffamation, tout ce temps? En perdra-t-elle son aura de grande méchante? Autant répondre tout de suite: non. Déjà, dans Descendants, il ne fait aucun doute qu'elle sera de nouveau présentée comme une vilaine. Deuxièmement: en voulons nous comme une gentille?
Qui le souhaite, d'abord? Ce serait à hauteur de 1%, mais certains verraient les méchants comme des héros, et ont une préférence généralisée pour eux. Du coup Maléfique ressemble à un genre de fanfiction appelé "fix fic."
Il s'agit d'abord seulement de raconter le récit du point de vue d'un personnage différent que celui du héros d'origine. Jusque là ce peut être Rosencratz et Gildenstern sont morts (inspiré d' Hamlet) et ce peut être instructif.
Ajoutez-y la fic dite "point of view" (POV) et forcément que certains évènements ou personnages vous paraîtront un peu différents, surtout en terme de présence et d'importance.
Le problème commence quand on y ajoute le "fix", qui consiste à littéralement transformer l'histoire pour héroïser les uns et diaboliser leurs adversaires. La première tendance, inspirée des Potterfictions (thème d'Harry Potter) qui l'ont abondamment utilisée, s'appelle Draco in leather pants ("Drago en pantalon de cuir", l'image mentale n'est pas nécessaire) et l'autre Ron The DeathEater ("Ron le mangemort").
Le problème n'est pas de connaître l'avis du méchant sur l'histoire même si l'on sait que cela va entraîner quelques changements cosmétiques. Par exemple, le récit Folle trajectoire du comics Batman est du point de vue du Joker, en conséquence le chevalier noir y est dessiné tel une grosse brute, mais notre narrateur n'omet pas pour autant ses propres crimes ( à savoir battre à mort Jason Todd, le second Robin.).
Le problème est quand on veut faire du personnage connu comme le méchant quelqu’un de blanc comme neige, une tendance déjà expliquée dans la critique de La Reine des Neiges, et qui a concerné la Reine de Blanche-Neige, ou la reine des neiges justement; mais comme le changement s'est opérée du support écrit au support cinéma, et non d'un support cinéma et son remake, il choque déjà bien moins. (A mon avis) Et puis la sorcière de l'ouest du Magicien d' Oz.
Son point de vue entraîne déjà des changements conséquents (le personnage de la sorcière de l'est n'était qu'une paire de jambes sous sa maison pour Dorothy; pour sa sœur, la sorcière de l'ouest, évidemment qu’elle a eu un rôle plus important.) Mais les auteurs du roman et de la comédie musicale Wicked sont allés plus loin, en faisant de la mégère ricanante du film de 1939 l'héroïne et du magicien d'Oz le grand méchant, ce qui ne va pas sans de très grandes modifications.
-La sorcière de l'Ouest version Magicien d'Oz (à La sorcière de l'Ouest version Wicked) : "Je me moque de combien tu as de fans, tu es une Mary Sue et ton histoire c'est n'importe quoi!" "Et en plus je suis l'originale." |
Question: Maléfique a-t-elle aussi besoin d'une histoire d'origine attirant la sympathie? Pour ceux qui la perçoivent comme une héroïne? C'est ceux-là, sans doute, qui se réjouissent des changements qui sont ceux d'une fix fic. Maléfique a maudit un enfant innocent pour rien? Non! Son père lui avait pris ses ailes et son amour, il est le seul véritable monstre. Les trois fées étaient de bonnes marraines? Non! Elles n'ont pas su introduire la cause d'échappatoire à la malédiction, ajoutée par Maléfique elle-même. Elles sont de gentils et satisfaisants substituts maternels? Non! Elles sont bêtes et incompétentes, méritant les tours de cochon de Maléfique, et Aurore doit sa survie à cette dernière. Elles ont au moins conduit Philippe à Aurore? Non! Maléfique s'en charge. Il réveille Aurore? Non! Maléfique le fait. Il tue le dragon, au moins? Non! Les gardes échouent à vaincre Diaval.
Récapitulons: Maléfique est innocentée et gagne en héroïsme et en importance, Philippe perd ces mêmes qualités, Stéphane le bon roi est le grand méchant (encore que je persiste à penser qu'épargner la vie de Maléfique restait un bon geste) et les trois fées perdent tous leurs talents.
En fait, on dirait qu'Aurore a été confiée aux sorcières d'Hocus Pocus! |
Cela ressemble beaucoup aux arguments de défense avancés par un fan invétéré de la fée sombre. Excepté peut-être, qu'Aurore s'en tire bien: toujours belle et bonne, mais bien plus présente qu'en 1959. Elle pâtissait alors de la difficulté d'animer les personnages harmonieux.
Philippe, le pauvre, a beaucoup perdu en revanche de son aura héroïque. Celui qui fut le premier prince charmant non figurant a régressé au niveau des prédécesseurs de Blanche-Neige et Cendrillon en terme de présence. On lui a même ôté le baiser salvateur; bien que sa présence au couronnement d'Aurore et leurs sourires suggèrent qu'ils deviendront quand même un couple.
Maintenant, question: tous les fans de Maléfique la perçoivent -t-elle comme une incomprise, victime de la calomnie du film de 1959? Pas moi, qui l 'ai comme vilaine de Disney favorite avec la Reine de Blanche-Neige. Je l'aime, si choquant cela soit-il, parce qu'elle est méchante et en tant que méchante. Elle a le droit d'avoir des excuses, d'avoir un passé douloureux, mais pour moi ça commence à coincer quand elle endosse le rôle des autres personnages et que ceux-ci sont presque tous réduits à méchants ou inutiles en comparaison. Bref: c'est une Méchante Sue! Pas grave quand on ne connait que le présent film, mais la comparaison avec l'original animé fait sauter cet aspect aux yeux.
Je vous assure, on peut apprécier Maléfique sans souhaiter qu'elle devienne un parangon! Et si je suis seule à le penser, je m'en excuse. Mais je persiste à croire que chaque conte de fées a besoin d'un méchant à l'ancienne.
(et pas que les contes, d'ailleurs: les comics, on l'a vu, en ont besoin aussi.)
Cela s'appelle "aimer détester", et oui, on peut aimer un personnage parce qu'il est méchant! Dans La machine a démonter le temps, l'un des quatre héros, Nick, admet qu' un des larrons, Lou, n'est pas fréquentable. Mais qu'ils ont besoin de quelqu’un de détestable. Maléfique est peut-être grande, sombre et pleine de malice mais cela fait partie de son charme.
Parce qu'elle règne sur le mal, je désire en connaître plus sur elle, et je désire qu'elle reste aussi une diva des ténèbres, non une Disney princesse.
Bref au scénaristique c'est une telle hérésie qu'on s'étonne plus que les trois fées aient des noms différents, au fond, ce ne sont plus les mêmes. Tout comme Maléfique ne mérite plus son prénom. On peut regretter une telle différence dans l'adaptation live: l'Alice de Tim Burton en prenant le parti de la suite laissait les rôles traditionnels à leur place, par contre....
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