vendredi 31 mai 2019

Aladdin, le live: le film d'origine (04), le climax 02



Critique film d'origine partie 01
Critique film d'origine partie 02
Critique film d'origine partie 03(climax)
Critique film d'origine partie 04 (climax)



(Version audio de ceci, mais je raconte, en plus, la genèse du film en début de podcast.) Le vrai responsable de toutes ces incohérences (à l'encontre du caractère, des sentiments, et de l'histoire personnelle de l'héroïne-ainsi que des motivations initiales du méchant), j'ai peur de le connaître, même si ce n'était pas conscient, du moins je l'espère.

C'est le male gaze, ou regard masculin. Bien sûr, il ne désigne pas une action aussi simple et répétitive qu'un personnage masculin qui aperçoit une femme, au cinéma. Ce n'est même pas  ce regard appuyé d'un protagoniste mâle vers celle par qui il est attiré (le longing look).


 Il y en a eu, y compris dans Aladdin ou dans les autres classiques de cette période.



Mais c'est innocent, un non-dit destiné à nous faire comprendre les sentiments (en tout honneur) du héros envers la princesse.





Le trope du male gaze proprement dit c'est quand (dans un film non pornographique), la caméra s'attarde sur les "parties" intimes d'une femme comme son décolleté, ou remonte le long de ses jambes. A moins qu'on ne voie (sans utilité scénaristique) la femme en question sous la douche, ou en train de s'habiller et donc en sous-vêtements. La scène aurait été la même si elle était déjà habillée, mais la réelle utilité de tout ceci, c'est le fan service (faire plaisir au spectateur concerné).




Parfois on nous montre le personnage  masculin qui la regarde (de façon nettement plus libidineuse cette fois, on l'aura compris), voire en nous jouant un air de saxophone ringard. 



Mais qu'il y aie un observateur ou pas, la caméra imite parfaitement le regard d'un homme hétérosexuel (et mature) envers l'actrice. Sauf que: dans un public potentiel, il y a aussi des enfants, des femmes, des hommes gays...autant d'exclus de la scène. C'est pourquoi le trope fait polémique aujourd'hui: il objectifie l’héroïne, et suppose que les spectateurs sont tous  des hommes hétérosexuels par défaut.


Mais, un film pour enfants devrait être exempt que ce genre de choses puisque ce n'est pas le public visé?  En théorie oui. 
Alors pourquoi Elsa roule des hanches en jupe fendue comme si elle n'était pas seule? Oh, attends...
Dans la pratique c'est plus compliqué: bien des films sont faits par des hommes hétérosexuels et adultes, ce qui influence leur façon d'écrire et de filmer.   Aladdin était dans ce cas (la seule femme avec un rôle important dans le staff était la productrice, Amy Pell. On lui doit d'ailleurs le caractère indépendant de Jasmine.)



Il faut donc voir,  je crois,  un "bonus parental " pur et simple aux deux scènes où Jasmine joue à l'aguicheuse.  D'autant que la deuxième a un costume amplifiant encore le côté "rince-œil " (ou eye candy en anglais. )

Ce trope, très redouté par moi, est celui du "go-go esclavagisme". Il se produit quand, dans la fiction,  un personnage féminin est capturé et qu'on l'oblige à changer de vêtements, pour faire comprendre que son ravisseur peut faire d'elle ce qu'il veut. Dans sa version la plus soft, une femme guerrière ou "destroy" peut se retrouver dans une belle robe.

Xena (Xena la guerrière)

Evangelyne (Wakfu)
Sam (Danny Fantôme)



Plus tendancieux, la femme innocente et chaste  mise dans des habits de vamp.

Lily (Legend)
Nunnally (Code Geass)


Mais le pire du pire à mon avis : la femme indépendante, forte d'esprit et haut placée, mise dans un costume minimaliste d'esclave sexuelle, histoire de la faire dégringoler sur tous ces points. Et la version la plus dégradante du trope.  Les occurrences en sont heureusement très rares.  Deux sont très connues : Jasmine, et Leia dans Le retour du Jedi.






Une troisième est très obscure en revanche, le comics Thundercats the return (cinq numéros, 2005) et concerne plutôt une femme au background guerrier.


C'est une suite au dessin animé Cosmocats. Cinq ans après la série, Mum-rah, le méchant, a gagné (oui), Starlion est porté disparu, et les cosmocats restants ont été réduits à l'esclavage dans des mines. Sauf les jumeaux, Wilykit et Wilycat, une douzaine d'années dans la série d’origine.


Mum-Rah a gardé à ses côtés Wilycat comme esclave personnel, et sa sœur comme esclave sexuelle.

Faites le calcul, ils ont 15 à 17 ans.

Tellement navrant, (la moitié de l'histoire c'est "Mum-rah joue à cinquante nuances de gris avec Wilykit")


que la publication s'est arrêtée au cinquième tome, les volumes sont considérés comme non-canon, et un autre comics racontera la suite de l'histoire (Thundercats Dogs of war).



Au contraire, Mum-rah est disparu, Starlion règne sur une joyeuse utopie, et Wilykit et Wilycat sont rhabillés.

...Et elle a moins de poitrine?


Le go- go esclavagisme, bon moyen de nous montrer la perversité d'un méchant? Oui. Mais la dégradation d'une héroïne forte n'est pas  une vision réjouissante pour autant, pour moi. Surtout quand c'est une héroïne d'enfance, représentée subitement de cette façon .


Croyez-le ou non, fut un temps, Star Wars c'était un film perçu comme étant pour enfants. Le genre SF l'était, mais aussi parce qu'il y avait une princesse, un gros monstre poilu, un grand méchant, des figurines Kenner: n'en jetez plus.



Faites un bond de six ans, et les gamins qui jouaient avec les figurines Star Wars en 1977 étaient adolescents (ou s'en approchaient) à la sortie du Retour du Jedi en 1983. Disons que leur prise en maturité fut comptée, concernant le point de vue sur Leia.




Carrie Fisher décrira un très embarrassant tournage, les cameramen ayant selon elle: "Une vue imprenable sur la Floride" (je vous laisse deviner ce qu’elle voulait dire).

Wilykit passera aussi du statut de "héroïne d'enfance chère" à "eye candy pour les fans ayant grandi".
(d'autant que dans son cas, vingt ans s'étaient écoulés).


C'est d'autant plus triste que personne ne semble avoir songé aux filles qui les avaient pour role model. Leia esclave reste un cosplay très populaire parmi les femmes qui aiment Star Wars- mais toutes les fans féminines n'aiment pas forcément s’habiller de la sorte. Certainement, il y eut des jeunes filles ayant aimé le premier film dans leur enfance (pas prises en compte: la cible était les jeunes garçons), qui avaient Leia pour héroïne, et que la scène chez Jabba dut faire sursauter. 



Mais avec Jasmine, deux différences avec ces exemples. C'est à sa première apparition qu'elle subira le costume embarrassant, comme si le fait que des adultes regardent aussi les grands classiques
Disney avait déjà été  pris en compte.

Et puis: on me dira sûrement que ce costume semble taillé pour affronter l'hiver, comparé à Leia et Wilykit. Plus précisément, c'est une version rouge de son costume habituel mais avec un haut remplacé par un soutien- gorge à première vue.


Le public familial impose en effet quelques restrictions, sans quoi le costume aurait sans doute plutôt ressemblé à ceci.


Et pourtant, sans en arriver jusque là: dans les limites de ce qui est permis, le costume de Jasmine est néanmoins sans ambiguïté dans le message qu'il renvoie.   Pas de manches, rapport à d'habitude? 

Apparemment ce n'est pas grand chose, mais...ça reste du tissu en moins. Le rouge est tout sauf innocent: je cite, heureuse coïncidence, Robin Williams (dans Madame Doubtfire) : "Le rouge est la couleur traditionnelle des prostituées" (on retrouve cette thématique avec Nunnally réduite en esclavage). Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi les princesses Disney n'en portent jamais (en total look), mais les méchantes oui (ou les héroïnes sexy)?





Ce sont toutes les choses "en plus" qui donnent l'aspect lubrique à l'ensemble. Le bracelet cobra désigne Jasmine comme la "chose" d'un homme qui a cet animal pour emblème (et encore une fois le rouge, qui est aussi sa teinte de prédilection) . Et les chaînes, malgré qu'elles apparaissent brièvement, et soient au poignets. Apparemment c'est moins pire qu'au cou comme dans Le  Retour du Jedi et Thundercats the return. Mais elles ont la même utilité: faire venir la captive en tirant dessus, façon laisse avec  un animal.









Disons que ça rappelle certaines pratiques.

Et là, je ne vais pas vous faire un dessin.




Entendons-nous bien, je ne fais pas mon Helen Lovejoy, ça ne saurait m'être plus égal, une femme qui s'habille comme ça dans la fiction...si c'est son choix (comme Dejah Thoris  de John Carter , Cixi dans Lanfeust et Kida, toujours chez Disney) . 







Vu qu'elle connait la bonne réponse à un abus verbal.



En revanche, une femme visiblement, comme on dit,  "soûlée, indignée et dégoûtée" d'être mise là-dedans, vous trouvez vraiment que c'était indispensable ? 



(En effet, Leia ne sourit pas de toute la scène...et quand Jasmine le fait, c'est feint) 

Sans parler du fait que c'est historiquement incorrect, sinon ce serait comme ça.


Est-ce que je vois le mal partout, en me disant que ces scènes où Jasmine drague, ce fut  fait à des seules fins émoustillantes (inconscientes j'espère)? Et bien  j' ai peur d'avoir raison, oui. Si vous trouvez que ça la rend charmante et tout, c'est que vous trouveriez charmant qu'on vous parle comme ça, j'en ai peur... A chaque fois et au début de la séquence, le spectateur est mis littéralement dans la peau de celui qui la regarde. La caméra épouse en effet le male gaze à chaque fois qu'elle commence... 



et ça se voit en raison d'un paradoxe qui interrompt la suspension d'incrédulité selon moi. 

Le fait que, la deuxième fois, aucune hésitation n'est visible. Le medium animation suppose pourtant des émotions et réactions exagérées. Et avec le fait de s'adresser à un jeune public, la grammaire filmique rend d’habitude claires les intentions et pensées des personnages, même quand ils mentent, font mine de faire quelque chose, ou agissent contre leur gré (voire font les trois à la fois).




Et dans ces cas-là, l'hésitation est toujours visible: mouvement de recul, débit de parole mal assuré, sourire crispé, regard fuyant ou terrifié, discours  mal construit, frissons, sidération, tic nerveux...
(En gros tout ce que fait Aladdin dans la scène où il donne de fausses informations sur son passé.)




Et là, Jasmine est trop bonne comédienne. Le texte n'a aucun sens (mais ça marche face à un méchant qui semble avoir perdu des neurones, donc), mais à part ça? Le discours est délivré de façon si fluide qu'on le croirait lu sur un prompteur (donc pas improvisé du tout). 

L'utilité du foulard qui tombe ? Aucune...*strip-tease subliminal*



La gestuelle, du début à la fin, ne trahit aucune arrière- pensée. Elle avance au lieu de reculer, le sourire semble sincère, pas de peur ou de haine au fond du regard...Vraiment, zéro hésitation de bout en bout, au point qu'un spectateur qui ne connait pas le film et prendrait en route à ce moment-là pourrait se méprendre, et croire que Jasmine est consentante.  Le tout alors qu'elle censée s'adresser à un homme qu'elle hait...et alors qu'Aladdin peut la voir et l'entendre, ce qui pourrait pourtant constituer une excellente raison d'avoir des scrupules.




Et la suspension d'incrédulité tombe tant cela va l'encontre du caractère de celle qui est si farouche, et si écœurée par le moindre contact physique avec Jafar.



Pour dire à quel point on peut en être confus, quand j'ai vu le film pour la première fois étant enfant, j'ai cru qu'on allait découvrir que le troisième vœu avait fonctionné malgré tout- ou qu'une forme d'hypnose était impliquée. 

L'utilité réelle de la scène, c'est de s'imaginer qu'elle s'adresse à soi de cette manière... (donc sans hésitation visible pour ne pas couper l'excitation) . C'est le principe du fan service. Avouez, vous avez dû être nombreux à y penser, messieurs...Ou même mesdames, si j'en crois le site madmoizelle, il est aussi des femmes que la scène excitait. 

Bande de petits canaillous, va.


Encore que, si on tient compte du fait, aujourd'hui,  que cela implique une fille d'une quinzaine d'années, ça me refroidirait beaucoup, à votre place! 


Mais moi, je ne l'ai pas ressenti comme ça du tout. Laissez-moi vous expliquer à quoi ça ressemblait quand on était une petite fille (ou en tout cas une petite fille comme moi).

Il y a de l’empathie, forcément, on se sent dans la peau de la princesse. C'est du champ/contre-champ, donc on voit, parfois, ce que Jasmine voit aussi. C'est à dire Jafar qui va droit vers elle, avec sa tête de prédateur (j'en ai-réellement- fait quelques cauchemars). Et en la traitant de "pussycat" (en VO),  ce n'est pas le respect qui l'étouffe.


Là, il n'y a qu'une envie qui vient: fuir. C'est tout sauf émoustillant (autant se faire assaillir par des cloportes, pour moi!) . Le pire, en la matière, étant la fin de la scène qui...


Bon, c'est là que j'ai rendu mes mi-cho-kos (pas de popcorn au cinéma à l'époque).

Mais ce qui peut être admis d'une chanteuse de cabaret, est inadmissible de la part d'une héroïne Disney...et totalement indigne d'une princesse Disney.

Et encore: dans les films soit -disant plus matures, même les chanteuses de cabaret qui font pourtant leur job peuvent avoir des scrupules à se laisser tripoter par un autre, hein, Moulin Rouge?



Croyez-en celle qui en fut la quintessence des princesses Disney, Giselle d'Il était une fois.

Ce n'est pas pour rien qu'elle chante le fait qu'il est essentiel, dans son monde, d'être embrassé par la bonne personne, sans quoi elle n'aurait jamais été tirée de son sommeil de mort.

C'est même si important dans son univers, que Giselle est très choquée rien que par le fait qu'on s'imagine qu'elle aie embrassé le fiancé d'une autre. Car dans son univers, c'est l'équivalent de ...heu...


Oulà...comme si Jasmine avait...au secours.

 Et Il était une fois est  sorti quinze ans après Aladdin...Contrairement à ce qu'on aurait pu croire, ça n'a ouvert aucune brèche, pas d'héroïne Disney portée sur la séduction par la suite. Sauf Meg, établie être sortie avec deux hommes, mais là aussi, elle restera la seule.

Meg, justement...lui ayant vendu son âme, c'est l'esclave d'Hadès au sens légal du terme. Ajoutez-y son job d'allumeuse et sa grande expérience des hommes, et ainsi que l'ont souligné bien des petits malins: il y avait matière à ce type de scène, et de costume aussi.


Mais non...Mégara restera habillée normalement, et n'a pas du tout une telle relation avec son "patron". Dans le livre des Héroïnes Disney, Nik Ranieri, superviseur de l'animation d’Hadès, rapporte: "(...) "Hadès, dans sa situation, pense, comme beaucoup de patrons, que l'argent et le pouvoir comptent plus que le sexe." Heureusement, sinon, on se demande ce que serait le quotidien de Mégara..."

Heu, tant mieux, en effet! Hercule était le film suivant des réalisateurs d'Aladdin. Se sont-ils dit qu'en fin de compte, tout ceci n'était pas nécessaire pour soutenir l'attention du public...cible (donc, les enfants) ?

Juste pour savoir, est-ce que tout cette scène du climax était censée être drôle? Dans ce cas ça n'a pas marché du tout sur moi.


Dernière bonne raison d’enrager: en plus, ce plan échoue!  Tout ça pour rien...Quand ça marche comme dans The Mask, je ne suis pas ravie, mais: ça aura  au moins servi à quelque chose. Quant à Leia esclave, au moins, elle  aura réussi à utiliser ses chaînes pour tuer Jabba, le punissant par là où il a péché en quelque sorte... Mais là, non, hélas.




Ça semble peu comparé à tout ceci, mais histoire d’arracher le peu de dignité qui restait encore à Jasmine, elle échoue (encore) à prendre sa canne à Jafar, puis aussitôt après, à se saisir de la lampe . Et finit dans le sablier géant, devenant une damoiselle en détresse histoire de couronner le tout. L'air de dire:  "Regardez quand on laisse sauver le monde aux femmes, elles ratent à chaque fois."

Alors je sais, climax, tension dramatique, bien sûr que c'est un sacré suspens de la voir risquer une mort lente. Mais qu'elle n'essaie pas d'en sortir n'est pas vraisemblable. Ce n'est pas Aurore, et jusqu'ici, Jasmine c'était à la fois une casse-cou et une prisonnière indocile. Et là, plus rien. Je sais, on va me dire: "Mais que veux-tu qu’elle fasse?" Et bien un sablier est fait de verre, pas de métal ou de pierre (autrement on ne verrait rien d'ailleurs,  autant pour le suspens.)

Mettre un coup de poing dedans expose à une grave hémorragie? Oui; mais un coup de pied alors? Non, sérieusement, avec des chaussures ( et c'est son cas) je ne vois pas ce qu'on risque. Au tout début quand il n'y a pas trop de sable, c'est jouable.

J'en avais même fait un dessin!
A ce qu'il paraît, le scénario original prévoyait qu'elle s'enfuie en brisant le verre à l'aide du joyau de son serre- tête (comme quoi), mais comme on en était encore à l'époque où nombre de jeux vidéos tournaient autour de "aller  chercher la princesse", un sauvetage plus classique est visible dans le film.


Non sérieusement, il y a même le sablier.

Ce piège du sablier est si peu crédible qu'il n'a à ma connaissance servi qu'une seule autre fois, dans le film La nuit au musée 2 (devenu un film Disney depuis, c'est amusant). Jedediah, la minuscule figurine de cow-boy qui reprend vie la nuit, sert d'otage en étant jeté dans un sablier (de taille classique).

Bon, c'est peut-être le format qui fait que ce n'est pas utilisé plus souvent (il faut soit un sablier géant pour une personne de taille normale, soit une personne très petite dans un sablier classique). Reste que ça ne serait crédible que sur une créature non consciente (bébé ou animal). La passivité de Jedediah qui est un grand garçon (façon de parler) s'explique d'autant moins qu'il est chaussé de solide bottes et possède une paire de winchester dont même les projectiles miniatures pourraient briser du verre.




Mais non, il attendra d'être tiré de  là par les coups de casque  d'Octavius. Ce n'est pas comme si notre cow- boy avait deux objets métalliques sur lui...




Ma seule indulgence provient du fait que, pour une fois, le héros ne s'en tire pas par la violence- il essaie, mais inutilement. Contrairement à Philippe et Eric, Aladdin ne tue pas le monstre, il le vainc par la ruse, plus son truc.


Il y en a eu, du monde, pour défendre la scène telle qu'elle est, m'assurer qu'elle était indispensable...mais j'ai bien peur de pouvoir "débunker" chaque argument avancé.


Les animateurs, pour commencer, qui assuraient que c'était un sacrifice héroïque. Pour moi, un sacrifice revêt un caractère noble, beau- ce n'est pas une vision qui file la nausée aux autres personnages comme aux spectateurs (certains spectateurs, du moins).



Ça démontre le courage de Jasmine? Je la trouve bien plus courageuse quand elle lance la coupe à la tête d'un homme qui peut pourtant la transformer en cafard instantanément.


Malgré qu'elle perde ladite témérité dans la seconde qui suit, réagissant en mauviette à la menace d'un coup de poing (damoiselle en détresse, déjà).



Ah oui: il faut ajouter la "menace de violence physique" à la longue liste des abus de Jafar dans cette scène (biffe sa grille de bingo).



Son intelligence ou sa ruse, parce qu'elle comprend instantanément ce qu'il faut faire? Ou ses talents de comédienne? Mais on en avait la démonstration dès le début du film, durant la scène de marché.



Quand elle comprend, très vite, qu'elle doit feindre la folie- et le fait très bien.

La scène ne sert qu'à mettre en scène des talents qui ne s'expliquent pas, vue son éducation, souvenez-vous.

Impossible de distraire Jafar autrement?  J'objecte, encore! Dans le roman alternatif Ce rêve bleu: Twisted tale, le climax est différent. Cette fois, Jafar a pris le temps d'écouter le fait que les génies ne peuvent pas accorder l'amour. Jasmine le distrait plutôt dans une discussion, où il est question de ceci:  ne pourrait-elle pas se forcer à l'aimer? La réponse est évidemment non, mais elle explique qu'au mieux, elle ne pourra que faire croire aux autres que c'est le cas.

Même dans La bande à Picsou: le trésor de la lampe perdue, le génie distrait un des méchants quand il remarque Picsou qui cherche à récupérer la lampe discrètement...mais sans lui rouler de pelle.




Ça vaut mieux: dans cette version, c'est un enfant.

Conclusion, qu'on ne me raconte pas d'histoires, rien ne le justifie, que le fan service.

...Et tout le monde trouve ça normal?



A me lire déverser ma bile de la sorte: j'aime le film Aladdin au fait? Mais oui, je l'adore! Tout en ayant cette scène que je déteste. Un paradoxe avec lequel je vis tant bien que mal depuis un quart de siècle, et que je résous toujours en appuyant sur avance rapide quand j'en arrive là.



Pendant quelques temps j'ai vraiment redouté, évidemment, la recréation de cette scène dans le film live (une fois, mais pas deux!).


D'autant que, sur les réseaux sociaux, ça ne manquait pas de gens qui voulaient la voir recréé  sans changer un iota.  Le site TVtropes, à quelques mois de la sortie, prétendait que ce serait le cas (et là-bas, aujourd'hui, il y en a toujours pour prétendre que le costume a été coupé au montage! Dangereux, les obsessions...).


Mais j'ai fini par avoir des doutes, car rien d'autre que des photos truquées ne circulait.



Et puis, finalement, dans toutes les photos de la garde-robe de Jasmine qui avaient filtré, rien ne ressemblait au costume d’esclave,  fallait voir les choses en face. La novelization  l'a finalement confirmé, le climax était tout différent ici. Oui! Gigue en délire, les enfants!





Juste après les deux premiers vœux de Jafar, ce que porte Jasmine ne change pas, pas même dans sa cérémonie de mariage forcé. Comme elle est en violet, j'ai songé que c'était l'équivalent de la robe, violette aussi, qu'elle portait dans le dessin animé juste avant le climax. Donc là: c'est comme si elle l'avait gardée.



Et là, c'est presque au contraire trop dans le sens inverse (elle n'a qu'un voile en supplément). Ce n'est pas très grave, mais vue la scène, j'aurais presque pu imaginer qu'elle se retrouverait dans une robe de mariée préservant sa modestie, certes, mais qui dans les coloris et le design aurait quelque chose d'inquiétant. Comme la robe rouge dans laquelle se retrouve Lydia Deetz dans Beetlejuice, pendant la cérémonie de mariage forcé avec le personnage en titre.



Comme je l'ai dit, c'est en effet une cérémonie nuptiale imposée dans un unique but de tourmenter  ses anciens supérieurs  qu'organise Jafar cette fois. Il ne tente pas,  avec son dernier vœu, à obliger Jasmine à l'aimer car la source de souffrance n'existerait alors plus, pour elle. M'appuyant sur  Twisted tale, je me demande si le Jafar du live n'a pas fait le même calcul que celui de ce roman. Qui savait qu'être le sultan en titre c'est bien beau, mais aux yeux du monde,et pour des raisons traditionnelles et légales, mieux valait renforcer tout ça par un mariage avec la fille de celui qui était le dirigeant la veille encore.

Marwan Kanzari n'est pas de cet avis, ayant dit en interview qu'il croit que la version live couvait aussi une attirance pour la princesse, mais que la quête de pouvoir lui importe bien davantage cette fois. Ça ne se remarque pourtant guère,  sauf durant le villainous face hold,  mais c'est déjà un geste malaisant: pas besoin d'en faire plus.


(Edit: Kanzari s'appuie peut-être sur une scène tournée mais non incluse dans le montage final: Marwan Kanzari!Jafar aimerait que le sultan lui propose la main de sa fille, en fait, et ira jusqu'à s'imaginer que ça se produit. La scène arrivant après la perte de la lampe, ça pourrait néanmoins être tout aussi guidé par l'intérêt que dans le dessin animé.




En fait, rien qu'un mariage forcé, c'est déjà tout à fait scandaleux (surtout quand on sait ce que des liens conjugaux impliquent...Ahem). En dépit du fait que Jasmine soit cette fois majeure (Naomi Scott avait 25 ans et une tête à les avoir) , et qu'il n'y a qu'une quinzaine d'années à tout casser entre elle  et Marwan Kanzari, rendant cela plus acceptable légalement. Une femme dans une union forcée, ça reste néanmoins inadmissible.

Et ça reste un climax tout à fait terrible, niveau suspens. 




Dans Le Manoir hanté et les 999 fantômes, la pauvre Sarah Evers, pour préserver la vie de ses enfants, doit, dans le climax, accepter un mariage avec le fantôme d'Edward Gracie. Par un twist inhabituel, Edward la croit consentante. Le tout est une ruse de Ramsley, le maître d'hôtel. Et c'est juste visiblement intenable pour elle.


Intense aussi, le visage de Victoria dans Les noces funèbres, pendant la cérémonie de mariage contraint avec Lord Barkis. Donc oui: pour moi ça reste une épreuve suffisante, sans avoir besoin de prétendre être attirée par le méchant.

Niveau damoiselle en détresse, on me dira que sa tentative de prendre la lampe et de fuir échoue pour finir. C'est vrai, mais cette fois, on voit le couple (et non plus juste l'homme) tenter quelque chose.




Et ne toujours pas vaincre par la violence (sans l'avoir utilisée du tout cette fois). Après, Jafar use de télékinésie pour immobiliser Jasmine, mais en toute objectivité, je ne vois pas comment elle aurait pu échapper à ça par contre.

Déjà dans Once Upon a time, le sablier réapparaissait, mais tout était très rapide (paradoxalement, si on considère qu'ils s'écoulent lentement d'habitude). L'apparition, comme le fait que le sable atteint presque tout de suite son niveau maximum. Là, on s'étonne moins aussi que Jasmine n'aie rien pu faire.



En fait, est ce que ça surprend encore quelqu'un que le climax n’apparaisse pas tel quel dans le remake? 

Andreas Deja, animateur de Jafar dans l'original, s'exprime ainsi dans le livre des Héroïnes Disney : 

"La scène quand [Jasmine]  est prisonnière est franchement osée (nda: Sans blague!?), tout cela sur des tons rouges de passion amoureuse; je me demande si on pourrait s'en tirer aussi facilement aujourd'hui (...)"



Sachant qu'il exprimait ces doutes quand pour lui, aujourd'hui, c'était alors l'an 2000. Vingt ans plus tard, on s'en "tirerait" évidemment encore moins facilement avec cette pensée de la femme exotique facile (à l'encontre de son rang et éducation, donc), empreinte d'un reste de colonialisme mal venu. C'est cette même progression des mœurs qui me fait me douter que dans le futur remake du Bossu de Notre -Dame, Frollo n'osera pas dire à Esméralda qu'il l'imagine avec une corde autour du cou.

Dans le même livre, Andy Gaskill, directeur artistique sur Le roi Lion et Hercule, a dit:  "Jasmine est une héroïne un peu démodée. Elle est capable de se voir comme un objet sexuel et sait que c'est en tant que telle qu'elle peut contrôler les hommes, une idée qui, je pense, rebuterait beaucoup de femmes modernes."

Si, avant l'an 2000, c'était perçu comme démodé " à faire rougir Stan Lee" (ça c'est dans la VO de l'épisode avec le vendeur de BD), ce n'est évidemment pas comme cela que la même héroïne allait chercher à contrôler les hommes vingt ans plus tard...mais en leur disant non.

Ça par contre, ça ne va pas changer je crois.



Pendant la création d'Aladdin version dessin animé, les personnages sont passés par diverses personnalités avant de trouver la bonne. Pour Jasmine, il y aurait eu une phase "insupportable enfant gâtée". Jusqu'à ce que, et sous l'influence paraît-il d'Amy Pell et de la co-scénariste Linda Woolverton, elle devienne plus gentille, mais aussi plus affirmée. Une femme  qui revendique la liberté de ses choix,  questionne la place qui lui est faite dans un monde patriarcal, n' a pas peur de dire ce qu'elle pense, bref une femme forte?


On peut supposer que, avec le 21ème siècle approchant, les réalisateurs se sont dit,  OK, pourquoi pas. Mais pour ce qui était d'être une femme exotique, ça c'était nouveau à traiter- et encore très influencé par les clichés hollywoodiens.

A titre de comparaison, voyez Morgiane, dans Ali Baba et les quarante voleurs. Une servante maligne sans qui Ali Baba serait mort et enterré à la fin de l'histoire. Mais le film de 1954 (celui avec Fernandel) l'avait réduite à une potiche quasi muette. 


Je ne dis pas qu'avoir une scène où Jasmine est sujette au cliché de la femme arabe allumeuse  était un choix conscient. D'après ce que j'ai lu, les réalisateurs ont grandi devant les films des années 1940 et c'est ce qui dû dicter le choix artistique. En gros, une idée induite par les hormones et la culture hollywoodienne classique, et qui sussure : "Une femme occidentale ne ferait jamais ça, donc l'honneur de nos spectatrices potentielles est sauf. Si une femme qui vient des mers du sud use de ses charmes, pas de problèmes-et ça fait plaisir à voir."

...Sauf que...Sauf que, ce côté aguicheuse s'ajoute à une personnalité farouche, explosive, très affirmée et qui ne donnerait certainement  pas sa main au premier venu...Vous ne trouvez pas que c'est paradoxal?


On sent le carrefour d'influences...Et c'est intéressant, des années après, de voir comment se résoud  le paradoxe aujourd'hui.
D'abord et dans les années 1990, les classiques Disney avaient déjà une portée mondiale. Le public était de tous horizons et Aladdin en version animée se sera parfois vu accuser de racisme (pour diverses raisons ou scènes d'ailleurs) par le public arabe- y compris américain. Car, oups! On y pense pas toujours, mais une bonne partie des américains sont en fait d'origine exotique, justement. 

Et puis maintenant, une princesse Disney officielle exotique n'a plus rien d'exceptionnel, près de la moitié d'entre elles le sont. Comme souvent quand l’exceptionnel devient une vision courante: on ne les juge plus à la couleur de leur peau, mais à l'aune de leur caractère, comme disait Martin Luther King. Elles ont des caractères très divers du reste, mais la lascivité n'en fait partie pour aucune d'entre elle. 



On peut même se demander si ce même cliché n'a pas été inversé par la suite. Naveen, dans La princesse et la grenouille, sera le premier Disney prince avec un côté ouvertement séducteur.


Mais rien à voir avec ses origines: Flynn Rider, l'année suivante, en fait autant, tout en étant européen.






Et sans surprise: en fait, la scène n'a jamais été recréée nulle part (si ce n'est le sablier dans OUAT). En fait, sur tous les autres supports, Jasmine n'a plus jamais tenté de séduire quiconque. Les suites en vidéo, la série télé, les specials à la télé, les livres, la version théâtrale, la comédie musicale, les spectacles,  Once upon a time, et donc le remake : Jamais, je vous dis. On dirait bien que le "réflexe très ancré" n'a finalement pas été jugé essentiel de  sa personnalité.

Courtney Reed alias Jasmine à Broadway n'a pas de changement de costume au moment du climax, et en passe une bonne partie simplement tétanisée avant que Jafar ne disparaisse. Jafar qui inspire à Karen David!Jasmine une telle terreur que l'idée de l’amadouer ne la traversera même pas dans OUAT.

Même confrontée à un ennemi de sexe masculin, elle a dorénavant cherché à s'en débarrasser à coups de poings -comme au tout début du Roi des voleurs.



Ce qui nous conduit à...en effet, elle a été beaucoup moins sujette à la détresse aussi, depuis. Elle devient le "vrai héros" dans OUAT, et en dépit d'être d'abord une version plutôt craintive. 



Et dans la série d'animation en particulier, on l'a vue parfois inverser  les rôles classiques en matière de sauvetage, comme dans l'épisode  The Secret of Dagger Rock (Aladdin est kidnappé et elle va le chercher). Mais aussi être recrutée par des amazones, ou, victime d'amnésie temporaire, développer une nouvelle personnalité de grande criminelle.


Le genre danger public avec un fouet et tout...dans ces histoires, Jasmine est une grande badass- et ça a finit par rester.


Tout cela peut s'expliquer facilement: je rappelle que c'est devenu une princesse Disney officielle depuis,  et c'est un poil embarrassant, d'un point de vue exemplarité pour les jeunes spectatrices, de la voir comme dans le climax...Je me demande vraiment comment ça doit être, pour les petites filles d'aujourd'hui. Elles prennent l’habitude de découvrir  Jasmine sur du merchandising, des jouets, ou en face characters dans les parcs, avec une image de marque impeccable (et donc, lisse).


Jusqu'au jour où elles sont en âge de comprendre et visionner le dessin animé...je me demande vraiment comment passe le climax.


Total: je constate, sauf chez les Disnerds invétérés, une sorte de phénomène d'oubli public. Une chape de plomb embarrassée, sur cet épisode peu glorieux. Presque rien ne le rappelle dans le merchandising, sauf quelques poupées et figurines.




Ça n'inspire globalement plus que les fanartistes et les cosplayeuses.


Par contre, pas de panoplies au rayon enfant.

Ce snowglobe de 1993 fait allusion à la scène- mais Jasmine est dans sa tenue habituelle.

Le climax original , j'ai l'impression, tend aujourd'hui à faire partie de ces idées regrettées par Disney aujourd'hui, qui tente de les balayer sous le tapis volant.

 Quelque part avec Le chaudron magique,  Mélodie du sud, et ...Comment? Pocahontas II? Je ne vois de quoi vous parlez- Pocahontas n'a pas de suite. Et je ne vois pas pourquoi vous dites que je suis dans le déni, non plus. 

Et alors? Le film original ne sera pas censuré pour autant, me dira-t-on. Et le remake ne va pas le supprimer ou l'annuler. C'est sûr: on ne revient jamais en arrière. Mais j'ai quand même été soulagée de voir une nouvelle version, avec un climax complètement différent: oui, ça prouve qu' on peut faire sans. Je m'y attendais en fait: en ces temps post #Metoo, impossible de faire autrement.

Et puis même pour Leia, le moment "esclave" est devenu embarrassant. Slave Leia était encore très représentée, voici cinq ans, dans le merchandising officiel, comme avec les figurines ou les couvertures de comics. Mais feue Carrie Fisher en a eu légitimement assez, et même conseillé aux actrices des nouveaux films Star Wars de ne jamais accepter un costume pareil (elle semble avoir été écoutée). Disney, après acquisition de la licence, s'est décidé à s'abstenir de réutiliser l'image de l'esclave dans son merchandising.  Autant être cohérent jusqu'au bout et appliquer le même raisonnement à une de leurs propres princesses.



J'avais dit que le go-go esclavagisme s'applique d'habitude de cette façon: une héroïne d'enfance innocente, qui se retrouve là-dedans par la suite pour le fan service du public qui a grandi.

Pour Jasmine, c'est l'inverse. Son premier film a ce moment "bonus parental" pour elle, mais par la suite, c'est devenu un personnage très important pour les petites filles,  et qui est présentée comme ayant plutôt son esprit indépendant à offrir au monde.

Et voilà pourquoi l'abandon de ce moment peu glorieux dans le remake me soulage: définitivement, c'est ainsi qu'on voit Jasmine maintenant. Et qu'elle même, mais aussi le monde, ne la voit plus comme un "objet sexuel". Mais comme quelqu'un qui a quelque chose à dire.




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