(Version vidéo)
Mary Sue, le mal du siècle de l'écrivain! (et du précédent) Je l'avais évoqué ici.
Ce serait selon La Brigade du Livre le cliché littéraire le plus détesté.
Mais qui-est elle, ou plutôt qui sont-ils car son homologue masculin, Gary Stu ou Marty Stus, est presque aussi commun? Cependant le terme était au féminin quand il a été employé pour la première fois, expliquant qu'il soit utilisé de même ici (mais attention, un tel protagoniste n'est jamais systématiquement une fille!).
Il s'agit d'une catégorie de personnage fictif trop parfait pour être vrai, en résumé, et qui est aussi très souvent un avatar à peine déguisé de son auteur (ou encore son love interest idéal).
Cette définition superficielle est en réalité infiniment plus complexe, en cela notamment que dans la fiction "officielle", surtout, Mary Sue avance masquée et n'est pas si facile à débusquer de prime abord. Car oui, elle est aussi le fait d'écrivains professionnels même si on l'associe avant tout à la fanfiction où elle est effectivement abondante, et où sa présence a été rendue évidente avec l'explosion d'internet.
Mais croyez-le ou non, la fanfiction existait bien avant, quoique plus rare car on la trouvait surtout dans les pages des fanzines . Qui sont des magazines amateurs publiés par des fans, et la fanfiction est une histoire également amateur tournant autour du scénario de l'univers concerné. Raconter ce qui pourrait être un chapitre ordinaire de cette histoire, écrire une séquelle ou une préquelle, une histoire d'amour entre deux personnages qui ne se parlent pas d'habitude, ou reloger tout le monde dans un univers alternatif n'est qu'une partie des possibilités. Mais surtout, introduire un personnage original, ou original character (OC) est une tentation très fréquente.
C'était déjà commun dans les années 1960, dans les fanfictions ayant Star Trek pour thème.
Et parmi celles-ci les prototypes de Mary Sue étaient non négligeables, tant et si bien qu'en 1974 la fan Paula Smith écrivit la parodie A trekkie's tale pour s'en moquer. Il était question de la lieutenant Mary Sue âgée de 15 ans et demi; un âge si absurde s'étant déjà vu dans d'autres fanfics "premier degré" et le terme fit florès.
Ironiquement, dans la série suivante Star Trek nouvelle génération, un Gary Stu semblable existera pour de vrai, Wesley Crusher, comme on le verra dans un chapitre suivant.
Mais où est le mal à avoir une Mary Sue comme personnage principal, au fait? Et bien c'est simple: c'est insupportable à la longue, à ce point insupportable qu"il existe un grand nombre de tests pour que l'auteur en herbe puisse identifier sa création comme telle et j'ai moi-même fait, en français (car la plupart sont en anglais) une version la plus exhaustive possible.
(version vidéo)
A sa lecture, vous avez peut-être déjà compris: rien n'est plus pénible que d'être mêlé aux fantasmes de toute-puissance qu'un inconnu a insufflé dans son avatar, ce qui a son côté intrusif. Ou de voir son personnage préféré réduit à l'état de complet idiot par rapport à un autre, favori de l'auteur de la fanfic qui veut ainsi le voir briller. En outre la Sue tend à littéralement déformer l'univers et à changer les règles en sa faveur ce qui brise la "suspension d'incrédulité" nécessaire pour accepter un récit fictif, à fortiori fantastique, pour un lecteur.
Sa zone d'influence ne se limite pas aux fanfics: on trouve des Sue dans les œuvres canon comme dit précédemment (qu'elles se vendent quand même ou non n'entrant généralement pas en ligne de compte) et même dans les avatars de jeux de rôles ou en ligne; mais dans ce cas on les appelle plutôt des Gros Bill.
Mais alors, quelles sont les caractéristiques principales de la Sue, à quoi la reconnait-on? La question est complexe car il existe divers types de Sue, nous y reviendrons. Mais comme on dit, certains signes ne trompent pas, voici les plus communs.
L'attrait physique.
La Mary Sue n'est pas seulement d'une beauté de déesse, elle ne fait rien pour l'avoir et l'entretenir. Pas de gommage, de sport, d'application de crèmes raffermissantes, de produits coiffants ou même de maquillage: elle est née comme ça, vous dis-je, et rien ne peut l'affadir. Une semaine de trekking dans la jungle sans prendre de douche, surprise au saut du lit, voire un combat intense: elle sera toujours impeccablement coiffée et maquillée, sans sueur (L'influence du cinéma est non négligeable puisque les acteurs sont toujours pomponnés quelque soit le type de scène).
Et si d'aventure elle commence son histoire en ayant une apparence banale, alors elle sera d'une beauté à faire rager Aphrodite (ou Apollon pour les Gary) avant la fin de celle-ci d'une façon ou d'une autre. Souvenez -vous de Bella Swan (Twilight) avant et après la métamorphose vampirique!
Avec un tel charisme, il est fréquent que la Sue aie moult prétendants; parfois, l’entièreté du casting principal de sexe opposé (ou pas opposé, d'ailleurs) et de sa génération!
Cette beauté est souvent surlignée d'un trait inhabituel, histoire qu'on s'en souvienne: des cheveux d'une couleur étrange (verts, argentés, bleus ou violets), voire de plusieurs couleurs, sans le recours à une teinture -en plus d'être parfois très longs mais toujours souples. Il est très courant aussi de prendre des cheveux de couleur normale, mais de les décrire avec des reflets dorés, bleus ou bronze.
Idem pour les yeux, qui peuvent être violets, dorés ou rouges, sans recours à des lentilles, voire changer de couleur fréquemment. Ou bien ils se parent eux aussi de reflets étranges.
A propos de description physique, apprêtez-vous à "manger" la perfection de l'intéressé à longueur de texte dans les médias écrits, puisque d'interminables descriptions extasiées arriveront tôt ou tard.
Dans les médias visuels, ce seront les autres personnages qui s'extasieront à haute voix même si -ironie- le ou la comédien(ne) concerné(e) n'est pas plus attirant(e) que ses collègues en fait. Dans les textes, on poussera le luxe jusqu'à décrire son parfum enivrant -naturel, ça va de soi.
Pour retenir l'attention, donner à la Sue une beauté exotique dans le milieu dans lequel elle vit (en faisant d'elle une métisse par exemple) est un autre ingrédient connu.
Elle est toujours mince, voire très maigre, mais ne souffre jamais d'anorexie et s'alimente normalement. En fait, elle n'a aucun handicap mineur ou majeur et n'est jamais malade. Son âge est toujours compris entre 15 et 25 ans ou en tout cas c'est celui qu'elle paraît avoir si elle est immortelle.
Jamais la Sue n'a conscience de sa beauté, ou souffre qu'on ne voie que ça chez elle. Voire, en raison des canons particuliers du monde où elle vit, elle peut à tort se juger banale voire laide!
Histoire de relever tout cela, elle a une garde robe abondante (et les bijoux assortis), décrite aussi à l'excès, et ne portera pas d'uniforme même si c'est obligatoire.
Toutes les dernières modes, toutes les extravagances (à commencer par le sexy) sont dedans, même si parfois cela relève de l'anachronisme pur et simple, manque de praticité (du style talons aiguilles pour marcher dans le désert ou escalader les rochers) et on se demande où elle fourre tout ça, étant partie parcourir le vaste monde avec un petit sac à main.
Son équipement est toujours impressionnant d'ailleurs : toutes les catégories d'armes, de préférences magiques (ne soyez pas surpris qu'elle soit jugée digne d'Excalibur) et toutes sortes de talismans puissants et de baguettes magiques.
"J'aurais peut-être dû privilégier le pratique à l'esthétique..." |
Sans oublier la compagnie: un voire plusieurs animaux, de préférence fantastiques (dragon, licorne, phénix) et /ou une fée ou un esprit pour faire roxxer le tout.
Et les moyens de transport classes qui vont avec, de la voiture de luxe (à 16 ans à peine) au vaisseau spatial en passant par la Harley Davidson.
Si elle ne possède pas de naissance des organes surnuméraires façon oreilles de chat ou ailes d'ange rétractables, alors Mary Sue peut souvent changer d'apparence en un clin d’œil: ses vêtements (ça expliquerait le problème de place) mais aussi temporairement devenir un animal voire un être fantastique façon dragon ou sirène.
Il peut aussi arriver qu'elle possède ce don car elle est hybride (par exemple demi -ange et demi- humaine), voire qu'elle soit demi -ange, demi- humaine, demi-démon et demi-elfe à la fois, en dépit du problème mathématique évident.
Voire elle peut être à 100% un elfe, une déesse ou un vampire, bien sûr.
Le nom impossible
Le nom n'est jamais ordinaire ou innocent. Soit il est celui de l'auteur, dans le cas d'un avatar, soit celui d'un être cher, soit celui que l'auteur aurait voulu porter ou attribuer à son enfant. Il est souvent aussi un nom de couleur, de fleur, de corps céleste, de pierre précieuse. Il peut décrire précisément l'intéressé(e) : Bella Swan, ça veut dire "beau cygne"! On sent le destin façon vilain petit canard.
Fréquemment aussi, une Sue OC portera un nom de famille bien connu dans l'histoire, (Black ou Jedusor dans Harry Potter, Uchiwa dans Naruto, Stark dans le Trône de fer), montrant une parenté de façon peu subtile. Raven ("corneille"), Sérénité (le nom de Sailor Moon) et Hunter ("chasseur") et leurs dérivés sont étonnamment communs. Son nom peut être étranger (par exemple, japonais) alors que la Sue ne l'est pourtant pas. Enfin, elle a de multiples prénoms et/ou celui -ci est très long! Isabella Ténébra Loana Sérénité Cindy Sakura Araniainaranarkia Potter Solo Cullen Uzumaki est un bon exemple.
Elle sait juste tout faire
Tout, c'est incroyable. Mary Sue est toujours un génie, mais aussi une athlète accomplie qui court , saute et nage aussi loin qu'il est humainement possible. C'est toujours une combattante hors pair qui ne perd jamais de duel. D'ailleurs, personne, entendez-bien personne, même le personnage principal, ne saurait dépasser la Sue dans quelque domaine que ce soit.
Avec ceci, elle chante et danse à la perfection, cuisine merveilleusement, peint comme une virtuose, coud comme Karl Lagerfeld, sait jouer de tous les instruments, maîtrise chaque langage et chaque sport.
Pour peu qu'elle soit scolarisée, la Sue est aussi la première de la classe, la déléguée (ou la présidente aux Etats-Unis), la reine du bal, la chef des majorettes, la chef d'orchestre , le premier rôle de la pièce de théâtre et remporte chaque concours. Oui, de préférence tout cela à la fois. Elle n'est pas extrêmement populaire pour autant? C'est que les autres sont juste jaloux.
Adulte, elle aura un métier très glamour: mannequin, agent secret, policier, pirate, star internationale, gentleman cambrioleuse, écrivain, exploratrice, tueuse à gages...Pas de place pour les caissières ou les éboueuses ici.
Et encore, cela concerne le milieu "ordinaire". Mais en prime, l'univers est fantastique (de façon officielle dès le début, ou pas, d'ailleurs)? Alors en plus, Mary Sue a de grands pouvoirs, pardon, tous les pouvoirs. Invisibilité (encore qu'on se demande comment elle passe inaperçue), vol, force, télékinésie, télépathie, changer le temps, le remonter, séduction, métamorphose, immortalité, elle sait tout faire et maîtrisera tout tôt ou tard.
Le plus incroyable c'est que toute cette perfection se raconte, mais ne se montre pas, assez souvent. Beaucoup de personnages secondaires passent leur temps à chanter les louanges de Mary Sue, ses qualités et talents sont souvent évoqués, mais on n'en voit jamais la preuve. Par exemple, elle est censée avoir un QI de 300, mais n'est jamais vue en train de lire, fabriquer des gadgets utiles ou proposer une solution à un problème technique épineux.
Et aucun défaut sinon? Mais si: elle est téméraire, impertinente, râleuse, curieuse, emportée, rebelle, obstinée, têtue...Comment ça, dans certaines circonstances ce sont plutôt des qualités? La Sue n'est elle donc jamais paresseuse, lâche, couarde, désordonnée, malpropre, vulgaire, jalouse, pleurnicharde ou cleptomane? Bonne question: non.
Elle en est contente au moins? Encore une fois, non: Mary Sue souhaite bien souvent être normale ou trouve que sa beauté et ses talents sont un très lourd fardeau.
Elle vient de la haute société
Ou elle s'y retrouvera tôt ou tard. Selon le genre d'histoire concerné, Mary Sue est née dans un milieu très riche ou/et est une princesse ou à la rigueur une reine ou impératrice. Mais il n'arrive presque jamais qu'elle possède un titre de noblesse moindre (marquise ou baronne). Et si ce n'est ça, c'est autre chose: générale, chevalier, prêtresse sacrée, présidente, papesse, que sais-je, mais toujours un titre prestigieux, celui qui l'est le plus dans son univers.
Ce n'est pas ça? Alors c'est apparemment le contraire: Mary Sue c'est Cosette ou presque, depuis toute petite elle trime dur (sans pour autant altérer sa beauté) et connait les fins de mois difficiles (sans pour autant altérer sa garde-robe). Si vraiment elle n'a pas de chance elle peut de surcroît être esclave ou prostituée, et ses parents ou tuteurs la maltraiter façon La Marâtre de Cendrillon.
Jusqu'au jour où elle s'en sort, par exemple par le mariage (Bella Swan qui épouse le riche Edward Cullen), ou désignée par le sort (en ressortant Excalibur de la roche), mais presque jamais pour avoir avoir fondé une grande entreprise à la sueur de son front.
Mais le plus souvent, Mary Sue apprend subitement qu'elle a été échangée ou kidnappée à la naissance, que ses vrais parents sont très riches, voire de plus sont des souverains, et qu'eux l'adorent, par contre, une fois qu'ils se seront retrouvés. Ils peuvent aussi être d'une espèce inédite, pour expliquer un métissage éventuel. Qu'elle sache ou non son statut depuis toujours, la Sue aura de très gros avantages en nature mais très peu de responsabilités politiques ou patronales, fusse- elle (c'est souvent le cas) l'unique héritière.
Et ne vous avisez pas de brider un tant soit peu sa liberté car alors, Mary Sue enclenchera son mode rebelle: pas question de la forcer à des cérémonies barbantes, au port de lourdes couronnes ou du protocole envahissant, même si c'est censé être son devoir. La Sue insistera pour que ses sujets lui topent dans la main et l'appellent par son prénom (pas de "Votre altesse" qui tienne), et bien sûr si l'envie lui en prend de porter une mini jupe ou de ne pas commencer par les couverts de l'extérieur, il en sera ainsi.
Ce n'est pas parce qu'elle est dans une position privilégiée qu'elle ne peut pas se représenter elle-même à un tournoi par exemple, et que ses adversaires n'hésitent pas à taper fort. Attendez -vous à ce qu'elle soupire régulièrement qu'être princesse, reine ou milliardaire c'est décidément trop contraignant et qu'elle aspire à plus de simplicité surtout si elle l'a connue étant enfant.
Et si vous lui parlez mariage arrangé, Mary Sue ne l'acceptera pas et fuira à l'autre bout de la terre avec une bande de héros pour vivre de palpitantes aventures.
Car Mary Sue est destinée à la grandeur. Elle est l’Élue de toutes les prophéties, attire la bizarrerie comme un aimant, fera le tour de la planète plusieurs fois ou sera des plus grandes guerres, vaincra les méchants, et pour finir sauvera le monde. Métro-boulot-dodo, très peu pour elle.
Le passé c'est douloureux
Vous l'aurez peut-être déjà compris à l'évocation de la pauvreté, précédemment. Mary Sue a souvent eu une histoire difficile. Indigence, travail pénible et forcé (voire infantile), maltraitance, mais aussi abandon parental. Elle peut se retrouver seule, bébé, puis être élevée par des animaux, mais néanmoins maîtriser le langage une fois adulte.
A moins que toute sa famille, et de façon générale tous ceux qu'elle a aimés, aient été massacrés sous ses yeux.
"La seule survivante" fait partie du package de cette hilarante Mary Sue Dragon Ball Z. |
Dans certains cas extrêmes c'est la dernière représentante de sa race. Elle a peut-être grandi dans un orphelinat ou une nation en guerre, et connu la famine, l'exil...Plus sordide encore, elle peut avoir subi un viol, ou eu une grossesse avec un enfant qu'il a fallu faire adopter . Dans d'autres cas, la Sue aura connu la prison (sous de fausses accusations, il va sans dire), la séquestration, ou/et la torture.
De telles horreurs laissent habituellement de lourdes séquelles psychologiques sur ceux qui les subissent...Mais pas la Sue! Ce passé terrible, c'est juste pour attirer la sympathie et que tout le monde la plaigne. A part ça, elle est guillerette, et même si elle ne l'est pas, pas de séquelles! La torture physique n'a laissé aucune cicatrice sur son corps parfait, et la mentale la laisse tout à fait saine d'esprit. Le viol ou la prostitution ne la dégoûtent nullement du contact de l'autre sexe et de la séduction. Elle n'a ni angoisse ni cauchemar post-traumatique des horreurs de la guerre, ou de l'assassinat de ses parents qui constitue avant tout une excuse pour traquer et punir le tueur.
Aimez-moi!
Mary Sue attire donc la sympathie. Mieux encore: les personnes âgées l'aiment comme leur propre fille et les enfants comme une grande sœur, les autres filles ne souhaitent rien d'autre que l'avoir pour meilleure amie. Et surtout, surtout: dans le cadre de la fanfic, le célibataire le plus convoité sera aussitôt amoureux d'elle même si dans le canon il est gay ou a fait vœu de chasteté.
Ou bien c'est un personnage (souvent le héros) déjà pris, mais tout aussi convoité. Dans ce cas, sa love interest canonique s'effacera sagement/s'enfuira avec un autre homme/mourra dans d'atroces souffrances, souvent après qu'il aie été révélé qu'elle était en fait méchante, une traîtresse, ou/et qu'elle trompait le héros avec un autre depuis longtemps. Tout cela indépendamment du fait que dans le canon elle soit mariée au héros, soit d'un fidélité exemplaire, qu'ils aient des enfants (qui dans ce cas périront aussi) et qu'ils aient prononcé tous les serments possibles: la Mary Sue, et par extension son créateur, veut son conjoint, et l'aura. Cela s'appelle une Sue relationnelle.
Dans le cadre d'une histoire originale, elle rencontrera un Gary Stu aussi incroyable qu'elle et il sera le seul auquel elle retournera ses sentiments. Car ce Gary ne sera pas, loin de là, le seul homme amoureux de la Sue. Il y aura aussi le meilleur ami ou le frère du Gary Stu, le bon copain comic relief, le grand méchant (ou son fils), le voleur de grand chemin beau ténébreux croisé en route et le petit acolyte rigolo, sans oublier les amis d'enfance et les camarades de classe. Cela, sans que la Sue l'aie recherché un seul instant.
Vous pensiez peut-être que c'était très Gary Stuesque de la part de James Bond ou Iron man d'avoir toutes les femmes qu'ils veulent? Et bien, pas exactement: comme tous les personnages à la Casanova, ils ont recherché cette situation. Un Dom Juan qui a toutes les filles à ses pieds, mais parce qu'il les a activement séduites, n'est pas Gary Stu pour autant (et la remarque est la même pour une femme qui chercherait de façon effective à charmer les garçons, d'ailleurs).
Mary Sue, elle, n'a jamais voulu cela. Si tout le monde est forcément amoureux d'elle, c'est juste parce qu'elle se contente d'être ce qu'elle est, formidable, et le charme agit tout seul. Le plus souvent, elle ignore d'ailleurs qu'elle a séduit tant d'hommes, ou même de femmes! Les personnages qui changent d'orientation sexuelle en une nuit pour convoiter la Sue à leur tour , ça arrive dans les travaux destiné à un public adulte.
Si Mary Sue se doute de quelque chose, soupir: "Pourquoi faut -il que tout le monde tombe amoureux de moi?"
N'existe -t-il donc personne qui ne n'aime ni ne respecte la Sue? Oui, mais ces gens qui la détestent ou la craignent, et c'est ce à quoi on les reconnait, sont des (grands) méchants! Ou bien, c'est la peste de l'école, mais c'est parce qu'elle jalouse la Sue. Et peut-être qu'un jour tout ce monde révisera son jugement et l'aimera aussi. De façon générale Mary Sue inspire toujours des sentiments forts: personne, dans le casting principal, ne peut se permettre de lui être indifférent. De toute façon, la moralité est centralisée sur celle de la Sue. En d'autres termes, elle a toujours raison. Et quand bien même ce n'est pas le cas: pas grave, personne ne lui en veut, elle peut avoir tué, trahi, torturé, elle sera rapidement pardonnée. Mais pas les autres personnages qui en font autant, bien sûr.
Elle change les règles de l'univers en sa faveur
Le monde dans lequel elle évolue se plie à elle. Ça se voit souvent chez la Sue OC de fanfics, une fois débarquée. D'abord, elle vole souvent la place du protagoniste officiel, et aussi son fiancé comme vu plus haut. Ensuite, les règlements évoluent pour lui faire de la place. Ça explique que des lieutenants dans Star Trek peuvent n'avoir que 15 ans ou des élèves arriver directement en cinquième année à Poudlard, pour correspondre à l'âge de l'auteur de la Mary Sue. Ou être inexplicablement des étudiants étrangers en échange pour justifier la présence d'américains (là encore à l'instar du créateur) à Poudlard qui est en Ecosse.
Le passé d'un personnage peut être modifié afin d'y inclure la Sue. Parce qu'elle lui est apparentée (fréquent), étant sa fille illégitime, sa demi-sœur ou sa cousine, ignorée de tous jusqu'ici. En conséquence le personnage responsable de sa naissance aura eu une liaison qu'il n'avait pas dans le canon (ou jusqu'alors).
De qui est-elle la sœur à votre avis? |
Alternativement, Mary Sue peut avoir été la grande amie d'enfance du héros bien qu'on aie jamais parlé d'elle jusqu'à aujourd'hui. Il y a aussi le cas d'un personnage possédant un objet, un pouvoir ou une caractéristique unique. Plus si unique, car Mary Sue aura la même chose, quitte à s'être trouvée au même endroit au bon moment, le jour où le héros aura reçu son item ou pouvoir. Ainsi, le récit sera réécrit en sorte d'inclure Mary Sue dans les moments clés de l'histoire-mais si, voyons, elle a toujours été là!
Minus et Cortex... et Larry! |
Enfin, le seul et unique but des personnages gentils (ou du même alignement moral qu'elle ) sera dorénavant de faciliter la vie de la Sue, de lui faire plaisir, ou de lui permettre d'accomplir son but, selon les capacités de chacun. Elle devient ainsi le centre de l'intérêt de tous-et de l'univers. Les buts, les rêves propres à chaque protagoniste? Pff, plus le temps pour ça.
Elle est l'avatar de l'auteur
Bon, là par contre, il faut connaître le créateur pour le remarquer. Mais quand on est auteur soi -même , il est facile de vérifier si son dernier héros est un jumeau idéalisé- dans ce cas, méfiance! On appelle cela un self-insert. Alternativement, le modèle peut être une personne chère (enfant ou conjoint) à l'auteur, notamment quand il ou elle doit créer un personnage de sexe opposé. Ou encore Mary Sue peut être l'amoureuse(x) idéal avec qui l'auteur sortirait volontiers.
Mary Sue a le sexe, la nationalité et l'âge de son auteur, et le même prénom souvent, mais en plus joli. Elle partage ses opinions, sa religion, ses convictions, ses goûts alimentaires et culturels, ses hobbies. La Sue a sa couleur de cheveux, d'yeux et de peau, mais est beaucoup plus belle, avec des teintes plus exceptionnelles.
La description de Bella Swan...mais sur sa créatrice, Stephenie Meyer! |
Et bien sûr, elle sort ou couche avec le personnage préféré du créateur dans l'oeuvre originale. Et sait tout faire en mieux, des pouvoirs magiques aux talents divers.
L'auteur adore le plus souvent ce personnage, dont il fait moult fanarts et ouvre parfois des galeries Deviantart rien que pour lui ou elle (voire fasse un spin-off spécialisé, dans une oeuvre originale!). Cette Mary Sue avatar ou conjoint idéal est mise en avant le plus souvent possible dans le récit, et pour son créateur c'est souvent l’incompréhension quand il remarque que tout autre que lui n'aime pas sa Sue, le plus souvent.
Mary Sue n'a pas, loin s'en faut, toutes ces caractéristiques, et aussi exagérées: il s'agit de démontrer, au maximum, ce qu'elle peut être et avoir si on explore à fond les détails. Mais, toutes les caractéristiques n'ont pas être présentes pour qu'on reconnaisse la Sue, loin de là. Parfois on ignore quelles sont ses qualités, ses défauts, sa famille ou son passé car ces détails ne sont tout simplement pas évoqués dans l'histoire. Et toutes les caractéristiques n'ont pas besoin d'être aussi outrées que décrites plus haut, mais l’intéressée n'en est pas moins une Mary Sue.
Il est temps de tordre le cou à quelques clichés. En dehors du fait que Mary Sue peut s'appeler aussi souvent Gary Stu, non, son auteur n'est pas forcément Cindy, 15 ans, qui évolue dans le domaine de la fanfiction et donc se publie sur son skyblog et Fanfiction.net avec dix fautes à la ligne; tout en affirmant que ses détracteurs dans les commentaires sont juste jaloux.
Car cela reste bien souvent qu'une dérisoire erreur de jeunesse, (elle laissera tomber ou s'améliorera à 18 ans) et sincèrement qui a lu beaucoup d’œuvres de Cindy, à moins d'être masochiste? (et encore faudrait-il les trouver.)
Non, un créateur de Mary Sue ce peut être aussi Simone ou Frank, 45 ans, détenteurs de plusieurs grands prix littéraires et édités chez Gallimard ou Marvel, qui ont perdu de vue leur but initial et s'investissent un peu trop dans leur dernière créature. Et traiteront les critiques qui ne les comprennent pas d'abrutis plus ou moins ouvertement.
Et là, c'est disons beaucoup moins pardonnable, parce que ça pourra gâcher la lecture d'une oeuvre originale qui jusqu'ici nous plaisait et qu'on trouve facilement sur les rayons. Pire, l'auteur est un "repreneur", c'est à dire qu'il écrit les nouvelles aventures d'un héros parfois plus vieux que lui? Je rappellerais ce qu'en disait ce cher Scott Gray qui a travaillé sur Docteur Who:
C'est supposé fonctionner comme cela: les créateurs des personnages sont leurs dieux. [...]Mais pour les écrivains assez chanceux pour qu'on leur remette des personnages classiques ayant survécu à leur créateur- des êtres de fiction si puissants qu'ils transcendent les générations- la chose est différente. Ces écrivains sont des gardiens. C'est de leur devoir de respecter ce qui a été fait avant, de reconnaître l'intention des créateurs, de comprendre l'héritage du personnage, sa force et ses valeurs. Qu'il soit Sherlock Holmes, Captain America ou Winnie l'ourson, ces écrivains doivent saisir les traits fondamentaux du personnage. Sinon, s'ils rejettent tous les éléments qui le rendent impressionnant et unique et à la place écrivent tout ce qui leur traverse l'esprit, même si c'est l'exact opposé de ce que voulait le créateur voulait- alors ce sont des idiots arrogants."
Parfois le repreneur est un fanboy, ce qui paradoxalement est un danger maximum pour le personnage auquel il veut en principe du bien. Peu résistent à l'envie de faire en sorte que ce héros leur ressemble, vive les mêmes épreuves, soit rendu meilleur que tous ceux qui l'entourent ou sorte avec un autre personnage qui est le fantasme personnel de l'auteur. Et contrairement à Cindy, ils sont impardonnables car un tel révisionnisme est lourd de conséquences dans le canon.
A gauche le rigolo Speedball, à droite le masochiste dépressif Penance-et c'est le même à quelques mois d'intervalle. Ne me demandez surtout pas quelle mouche les a piqués à Marvel. |
Mais, si les Mary Sue sont à ce point insupportables, il suffit de refermer le bouquin dès qu'on la reconnait, non? Non, autre cliché: le plus souvent, Mary Sue avance masquée. Elle peut être une anti Sue, c'est à dire un individu en apparence ordinaire. Puis au fur à mesure des chapitres ou des épisodes, on en apprend de plus en plus sur son compte: en fait elle a été échangée à la naissance, en fait elle possède un pouvoir jusqu'ici ignoré, elle rencontre un Gary Stu, de plus en plus de gens tombent amoureux d'elle, une potion la rend très belle...Et voilà comment on se retrouve avec une Sue éhontée après quelques tomes ou saisons alors que la situation initiale ne laissait rien paraître.
Autre possibilité, Mary Sue est un personnage secondaire, qui fera irruption à partir du tome 3 ou de la saison 2 façon chien indésiré du jeu de quilles, dans un casting jusqu'ici équilibré.
A propos de chien... |
Car non, contrairement à la croyance populaire , la Sue n'est pas forcément l'héroïne. En fait, elle n'est même pas forcément gaie ou même gentille!
Certaines méchantes sont des angsty ou villain sue: elles sont grognon, emo, vêtues de noir, cruelles et avec tout le sang possible sur les mains mais tout en ayant pas moins la beauté, la richesse, les prétendants, l'équipement, le passé trouble, etc.
Mary Sue n'est même pas la garantie d'un échec commercial. Si tout le monde cesse rapidement de lire Cindy, certaines œuvres professionnelles à "Sue" sont d'écrasants succès. Twilight, Tara Duncan, Vampire Diaries...Pourquoi? Certains publics sont plus indulgents que d'autres, notamment les enfants et les adolescents. Pour eux, plus le héros brille, mieux c'est. Ce n'est qu'après que la sur identification cesse et que l'esprit critique apparaît. En outre le genre fantastique pare ses personnages de pouvoirs paranormaux pour nous, mais qui sont la norme dans leur univers: les Sue sont plus facilement tolérées dans cette catégorie.
C'est sans doute aussi parce qu'il faut éviter de confondre Mary Sue et personnage échappatoire. Le personnage dit échappatoire est une catégorie de protagoniste principal qui a souvent un passé peu enviable, mais est l’Élu appelé à vivre de grandes aventures, et connaître un épilogue heureux. C'est l'histoire de Cendrillon en particulier, celle des héros de contes en général, et s'intéresser à eux est loin d'être une mauvaise chose; en effet ils comblent nos envies d'évasion d'où le terme d'échappatoire. Ils sont une des catégories les plus merveilleuses et dépaysantes de personnages existants.
Le personnage échappatoire devient une Mary Sue quand elle est trop personnalisée pour correspondre à son auteur, ou que décidément "elle a tout", (y compris l'indulgence de l'univers) et que chaque chapitre en rajoute une couche à ce sujet.
Certains personnages marchent sur le fil du rasoir entre ces deux catégories, d'ailleurs. Parfois un détail infime, comme la fin, change tout.
Je m'apprête à dresser des portraits terrifiants de personnages qui se sont avérées êtres des Sue, mais n'y ferait pas figurer comme je le pensais initialement Nadja de l'animé du même nom. (2003)
Pourquoi? Et bien, en 1902 au Royaume-Uni, la jolie Nadja Applefield, treize ans, a grandi dans un orphelinat, mais sa mère serait vivante et lui a laissé de précieux items (une broche, une bague, une robe et un carnet de bal sans oublier cette boîte à musique qu’elle rachète par pur hasard).
La bague est marquée du sceau des Preminger, famille ducale d'Autriche (et je rappelle que dans l'échelle nobiliaire les ducs sont juste en dessous des princes). En plus de garantir du sang bleu à sa fille, ladite mère, Colette, a cru Nadja morte jusqu'alors mais se révèle un ange de douceur et de bonté qui aime sa fille inconditionnellement.
En plus de cela Nadja parcourt le monde en tant que danseuse de cirque, mais est systématiquement invitée de façon spontanée à tous les bals de la haute société qui ont lieu, soit dans la vieille robe de sa mère soit relookée par ses nouveaux amis.
Elle est éprise, et aimée, du jeune noble charmant François Harcourt, (par ailleurs déjà fiancé) mais l'aiment aussi Charles (le jumeau de François) qui sera presque tué pour elle, Kennosuke son collègue de cirque, Fernando le gosse de riche insupportable, Oliver le condisciple d'orphelinat , Christian qui a été rencontré en route, bref chaque garçon qui n'a pas vingt ans. Et Nadja n'en a aucunement conscience!
Alors, pourquoi je trouve que Nadja marche malgré tout sur la corde raide? Primo, elle ne sait pas tout faire: alors qu'elle maîtrisait facilement toute nouvelle danse locale apprise, en Espagne son professeur de flamenco la trouve décidément nulle. Nadja s'entraîne la nuit entière, jusqu'à saigner. D’habitude dans les animes japonais c'est la solution miracle; ici l'enseignante la trouve toujours aussi médiocre! Heureusement cela suffira pour un spectacle de cirque.
Deuxio, surtout, Nadja décide de ne pas rester auprès de sa mère tant cherchée, et de refuser son héritage ducal. Le dernier bal est le seul où elle est effectivement invitée mais aussi le seul où elle se présente en uniforme d'orpheline. Après avoir rejeté la vie qu'on lui offre, elle court retrouver la troupe et repartir sur les routes! Comme Rémi, avec ses chiens, elle rejettera la récompense finale.
Bloom dans Winx est aussi un exemple entre-deux. Son passé semble pourtant une check-list des points précédents: elle a été adoptée, est en réalité une fée, vient de la planète Domino dont c'est la dernière survivante (jusqu'à ce qu'elle réveille tout le monde) , c'est la fille biologique des souverains qui auraient préféré ne jamais la perdre, le film L'aventure Magique en fait une princesse rebelle, est la seule au monde à maîtriser la dangereuse "Flamme du dragon"...Alors, pourquoi pas (vraiment) Sue?
D'abord un seul garçon, Sky, la courtise. De plus, ses parents adoptifs l'ont bien traitée (et ne sont pas morts, pas plus que les biologiques!). Ensuite, les cinq amies de Bloom, les Winx, sont toutes des fées, sont presque toutes des princesses aussi, ont toutes un petit ami...Bref, elles sont comme Bloom, et quand tout le monde est exceptionnel, plus personne ne l'est.
Ça aurait pu faire un effet troupeau gênant, du style pile de Sue (ça existe et c'est très irritant!). Mais ici l'effet groupe fait que l'attention se divise et que le but de tout un chacun n'est pas de faciliter leur existence; en fait certains peuvent les détester sans que ça se traduise par des conséquences aussi douloureuses que possible! Enfin les deux séries évoquées sont destinées à un public d'enfants pour qui de tels héros sont quasi normaux.
Voilà pour la définition brute de la Sue, mais sachez qu'elle existe en plusieurs catégories distinctes!
A bientôt pour la dissection...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire